Nous sommes engagés depuis longtemps dans le refus du « tout LGV/TGV » et pour une rénovation du réseau existant.
Si nous étions peu nombreux il y a quelques années à prôner ce virage stratégique nous observons aujourd’hui que nos arguments diffusent de plus en plus dans le milieu des institutionnels, des spécialistes, des élus…
Quelques exemples pris dans la presse spécialisée (La Vie du Rail- VDR) viennent étayer nos propositions pour un système ferroviaire au service de l’usager/contribuable.
Prenons tout d’abord quelques chiffres pour illustrer nos propos quant aux trafics ferroviaires en région (VDR n°3572).
Région | parc matériel roulant (2014) | Nombre de km de lignes | Péages voie en M€ | Offre fer trains-km | Fréquentation (milliers de voyageurs-km) | Charges TER en €/habitant |
Nouvelle Aquitaine | 466 | 2995 | 59,930 | 16784907 | 919177 | 61,78 |
Occitanie | 605 | 2409 | 56,721 | 14482342 | 1104306 | 58,09 |
Entre 2013 et 2014 (et dans le périmètre des anciennes régions) la fréquentation est en baisse (Aquitaine -1,4%, Poitou-Charentes -1,85%, Midi-Pyrénées -2,24%) ainsi que les recettes (Aquitaine -1,83%, Midi-Pyrénées -2,97%).
Avec une régularité du service (2014) qui reste faible (Poitou-Charentes 93,07%, Languedoc-Roussillon 89,45%, Aquitaine 89,16%) on peut constater que le ferroviaire en région reste très perfectible pour l’usager/contribuable.
On peut rapprocher ces faibles performances d’une compétition exacerbée ces derniers temps entre différents modes de transports.
Quelques chiffres issus d’une analyse donnée dans la VDR n°3566 éclairent ce débat pour quelques liaisons régionales.
Liaison | Prix au kilomètre | Temps de trajet | ||||
Bus¹ | Covoiturage¹ | Train² | Bus (mini-max | Covoiturage | Train | |
Perpignan Montpellier | 0,031 | 0,064 | 0,096 | 2h45 | 1h40 | 1h40 |
Toulouse Clermont-Ferrand | 0,041 | 0,059 | 1,129 | 5h15 | 3h45 | 7h30 |
Lyon Bordeaux | 0,036 | 0,065 | 0,092 | 7h-9h | 5h10 | 6h20 |
Bordeaux Nice | 0,036 | 0,060 | 0,051 | 11h45 | 7h15 | 10h30 |
¹prix moyen ² prix minimum
Pour des coûts de transport usager souvent plus bas, et des temps de parcours parfois équivalents ou plus courts, parfois plus longs, le transport par bus ou par covoiturage vient bouleverser l’image totémique du rail.
Alors comment comprendre ce désamour pour le rail ?
Comme l’ont montré de nombreux rapports[1] depuis une dizaine d’années notre réseau ferroviaire est en déshérence. Les accidents de Brétigny et Denguin viennent de mettre dramatiquement en exergue ce constat du manque d’entretien et de rénovation de notre réseau ferroviaire.
Malgré le financement croisé Etat/Région pour ces travaux indispensables (et d’autres qui pourraient être discutés plus en détail –gares, raccordements aux LGV…) on est très loin de la rénovation réelle du réseau. Pour 2016 par exemple la région Occitanie et la SNCF prévoient 180 millions d’euros dans la « modernisation » du réseau (VDR n°3559) ce qui est loin de répondre aux besoins de la nouvelle grande région.
Jacques Rapoport, ex PDG de SNCF Réseau, reconnaissait lui-même (VDR n°3560) que cette rénovation et modernisation délaissées depuis près de 35 ans n’allaient pas être restaurées aussitôt : « …la hiérarchie des priorités a pu donner le sentiment de ne pas être la bonne. Les priorités sont, dans l’ordre : la surveillance et la maintenance courante, le renouvellement, la modernisation et, enfin, le développement. Or, cela a pu paraître souvent inversé ».
Nous ne pouvons qu’acquiescer à ce constat qui montre bien que le tout LGV/TGV a largement phagocyté le financement de l’indispensable modernisation du réseau existant.
La démission de Jacques Rapoport le 18 février 2016 (VDR n°3562) pourrait trouver ses racines dans l’impossible défi imposé à SNCF Réseau comme le commente Gilles Savary pour qui le patron de SNCF Réseau doit « obéir à des injonctions contradictoires » : remettre le réseau en état comme le veulent les Transports, mais sans un euro de plus comme le demande Bercy.
On ne reviendra pas ici sur les dernières « injonctions » ubuesques du Gouvernement comme celle imposant à SNCF l’achat de TGV à 40 millions d’euros pièce pour les faire rouler sur le réseau TET à 200 km/h au maximum, au prétexte d’un sauvetage politique et électoraliste du site Alstom de Belfort… !
[1] On pourra consulter notamment le rapport Rivier de 2005 (cf. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_Rivier.pdf ) et le rapport de la Cour des Comptes de 2012 « L’entretien du réseau ferroviaire national ».
Un TGV dernier cri sur les lignes existantes. Source https://www.lyonmag.com/article/68418/sncf-vers-une-hausse-du-prix-des-billets-des-tgv
On aurait mieux compris que cet argent public aille en priorité dans l’achat de matériel roulant adapté au réseau français pour des liaisons rapides (200 km/h) sur les lignes TET-TER. Alstom se porte bien, très bien, (voir ses résultats au premier semestre 2016) et il faudrait que l’Etat l’encourage à une gouvernance respectueuse pour investir judicieusement son cash dans ses différents sites français. Alstom vient de remporter le contrat d’étude du TGV du futur, engrange 500 millions d’euros pour les 15 TGV évoqués ci-dessus, décroche un marché de 2,2 milliards d’euros aux Etats-Unis (rames pendulaires Avelia Liberty), signe des contrats pour 22 tramways avec le STIF et pour une ligne de métro à Shanghai, doit fournir 150 rames pour Trenitalia, engrangera 3 milliards d’euros pour la livraison de locomotives électriques en Inde …
Si les trafics TET et TER souffrent en premier lieu du manque d’investissement dans le réseau et le matériel roulant, le fret continue sa descente aux enfers.
Les annonces en trompette de lancement « d’autoroutes ferroviaires » ne peuvent cacher la désaffection qui frappe depuis des décennies le fret ferroviaire français.
La troisième autoroute ferroviaire inaugurée le 29 mars 2016 entre Calais et Le Boulou (près de Perpignan) ne transporte que 40 semi-remorques routières dans un aller-retour quotidien. La filiale VIIA de SNCF Logistics espère pour cette autoroute ferroviaire un report modal de 40 000 semi-remorques par an d’ici 5 ans.
Selon l’AFRA la part modale du transport de fret ferroviaire en France stagne à 9,5% en 2014.
Pendant ce temps le transport routier de marchandises se maintient à un niveau important comme le montre le schéma ci-dessous.
Source http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Chiffres_et_statistiques/2016/chiffres-stats740-transit-alpes-pyrenees-mars2016.pdf
Avec quelques 40 000 remorques/an à l’horizon 2021 la nouvelle autoroute ferroviaire aura bien du mal à absorber une part significative des 3,2 millions de poids lourds relevés au Perthus.
Si le fret ferroviaire français se porte mal, l’Union Européenne ne pavoise pas non plus.
Isabelle SMETS (VDR n°3576) note que la part du fret ferroviaire dans l’UE passant de 18,3% à 17,8% entre 2011 et 2013 (19,7% en 2000). Le fret routier tient toujours le haut du pavé. Même si certains restent optimistes pour le fret ferroviaire (cf. Pascal Sainson président d’Europorte dans VDR n° 3559) la hausse des tarifs du péage ferroviaire (+6,27% en 2016) fait craindre une désaffection des transporteurs pour ce moyen de transport peu rapide et dont la qualité des sillons laisse à désirer.
On ne peut parler de ferroviaire ces temps-ci sans évoquer le malaise profond observé par les opérateurs et les usagers des TET.
Le gouvernement et SNCF parlent pourtant de renouvellement de matériel roulant (VDR n°3561) mais de manière partielle pour les trains Intercités. L’appel d’offre lancé début 2016 ne réjouit pas le constructeur Alstom devant une concurrence renforcée.
Pour l’usager c’est une annonce à minima pour les TET sous perfusion étatique depuis des années.
Peut-on attendre un réel progrès pour les TET si, comme l’annonce la Normandie, les régions deviennent les AOT sur ce secteur de plus en plus délaissé par l’Etat ?
Rien n’est moins sûr devant les déficits permanents (on parle de 12 millions d’euros/an en Normandie cf. VDR 3561) qui seraient repris par la Région si l’Etat assurait le renouvellement du matériel roulant (6 à 700 millions d’euros !) sur les deux lignes TET principales. Un pas vient d’être franchi en avril 2016 dans la convention de transfert signée entre l’Etat et la Région Normandie sur les cinq lignes TET qui s’accompagne d’une promesse de Manuel Valls de financement de rames neuves pour 720 millions d’euros. Il faudra toutefois attendre 2019-2020 pour voir ce plan aboutir avec en parallèle un investissement de l’Etat sur l’infrastructure de l’ordre de 500 millions d’euros.
Avec un changement de président et de gouvernement à mi 2017 toutes ces bonnes intentions restent à concrétiser…
De plus il reste à harmoniser le rail et la rame pour les TET de demain.
Pour un service ferroviaire de qualité et suffisamment rapide le réseau doit recevoir des aménagements conséquents (renforcement de la voie, suppression des PN, augmentation des entraxes de voies…) qui permettrait d’accueillir des rames modernes jusqu’à 200 km/h. Si la FNAUT parle d’utopie dans la généralisation du train classique à 200 km/h (VDR n°3569) on sait qu’elle est très souvent pro-LGV sans penser toujours au réel besoin de millions d’usagers de la France périphérique…
Le débat sur l’avenir des TET se retrouve dans le face-à-face d’élus ayant l’œil sur le ferroviaire français depuis longtemps.
Dominique Bussereau et Gilles Savary se livrent à une joute dans les colonnes de la VDR n°3573.
Pour le premier, en présentant le point d’étape le 19 février 2016, l’Etat « a signé l’acte de décès de ces trains pourtant indispensables à notre vie quotidienne ». Il rappelle que l’appel d’offre de 1,5 milliards d’euros lancé par l’Etat pour le remplacement des rames TET des lignes structurantes « …outre le fait que cette dépense n’est pas financée et sera vraisemblablement à la charge d’un autre gouvernement, n’entraînera pas de nouvelles livraisons avant 2021 ou 2022 ». Il évoque bien entendu le rapport de la FNAUT évoqué ci-dessus pour en déduire un obstacle majeur à l’aménagement du réseau classique pour des TET à 200 km/h et ouvrir l’opportunité alternative des LGV comme pour Bordeaux-Toulouse. Cela ne peut nous surprendre venant d’un des thuriféraires du dossier SEA-GPSO.
Le second quant à lui, député PS, ne jette pas la pierre sur le gouvernement qui « …face à une situation très dégradée, a pris des décisions importantes, qui ont le mérite de rompre avec le pourrissement des 20 dernières années ».
Il concède toutefois que « …ces arbitrages ressemblent trop à une gestion subtile de la pénurie budgétaire pour espérer autre chose qu’une attrition en bon ordre des lignes actuelles » et tente le qualificatif de « contorsionniste » pour l’Etat.
Il préconise donc de repositionner durablement l’offre de nos TET par « une priorité affirmée de régénération et modernisation des lignes qu’ils utilisent » et l’investissement dans des matériels roulants « plus confortables et mieux adaptés à leurs missions ». Pour lui cela ne passe pas par le choix unique de matériels Alstom hors de cible (Régiolis surclassé, TGV déclassé). On comprend par là qu’il vise une nouvelle rame moderne capable de rouler commercialement autour de 200 km/h.
Pour la Région Nouvelle Aquitaine Renaud Lagrave, vice-président en charge des transports, indiquait en avril 2016 (cf. VDR n°3566) : « Nous sommes concernés par trois lignes TET. La région n’a pas les moyens de les absorber dans son budget. Même si on nous donne trois Régiolis et deux Régio2N ».
Il faudra certainement encore de longs mois avant de voir poindre une solution durable pour nos TET et la desserte de nos territoires.
Pendant ce temps quelques obstinés persistent à vouloir poursuivre le rêve fou de milliers de km de LGV…
Ces LGV, dont certaines âgées de plus de 30 ans, réclament d’ailleurs dès aujourd’hui des régénérations qui se montent à 135 millions d’euros pour l’année 2016 (cf. VDR n°3553).
Source http://france3-regions.francetvinfo.fr/languedoc-roussillon/herault/montpellier-metropole/montpellier/projet-ligne-grande-vitesse-montpellier-perpignan-juge-excessif-retarde-15-ans-1097321.html
On peut comprendre que SNCF s’inquiète de ce phénomène alors que l’on lui impose l’exploitation dès 2017 de la nouvelle LGV Tours-Bordeaux où le nombre de navettes TGV est arrêté à ce jour à 33/j avec 18,5/j en direct. Guillaume Pépy parle d’une perte d’exploitation de 150 à 200 millions d’euros/an. Les tenants de la LGV, dont la Région Aquitaine et son président, contestent cette prévision parlant même d’un excédent de 80 millions d’euros/an (cf. VDR n° 3558).
On peut toutefois penser que l’exploitant ferroviaire historique SNCF possède une expérience plus mûre dans ce domaine… L’avenir viendra rendre son verdict très prochainement la mise en service de la ligne étant prévue en juillet 2017.
Gilles Savary ne disait-il pas déjà en février 2016 (cf. VDR n° 3559) : « Du coup on peut se demander ce qu’il adviendra des engagements pris par les anciennes régions de participer au financement de très anciens projets de LGV [NDLR LGV SEA Tours-Bordeaux et son prolongement par le GPSO] qui ne sont pas de leurs compétences, mais dont le modèle économique s’avère de moins en moins soutenable pour la SNCF, comme pour les finances publiques et pour les usagers ».
Cela s’avère d’autant plus critique que l’on apprend de ci de là que les PPP signés pour la construction des LGV avec des sociétés comme LISEA-VINCI, Bouygues ou Eiffage réclament parfois des « rallonges » de financement conséquentes comme on l’apprend dans un article de la VDR (n°3562). On réclame à SNCF Réseau signataire des PPP pour la LGV Bretagne Pays de Loire et LGV contournement de Nîmes et Montpellier chaque fois 200 millions d’euros pour des travaux complémentaires. Ces derniers vont être analysés par des experts désignés par SNCF mais gageons que le risque de dépassement du contrat existe. A réfléchir et prendre en compte pour de possibles PPP pour le GPSO…
Comment ne pas penser au défi budgétaire qui s’annonce pour ces projets de LGV quand Dominique Bussereau lui-même reconnaît l’incapacité de l’Etat dans ce domaine (cf. VDR n° 3565) : « Notre agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) n’est ainsi même plus capable de payer la part de l’Etat dans le financement de la LGV Tours-Bordeaux et SNCF Réseau doit emprunter pour payer la part de l’Etat ! ». Pour celui qui fût ministre des transports lors de la signature de la convention de financement de cette LGV cela ressemble à un aveu d’incompétence…
Surtout que quelques lignes plus loin il dit que la LGV Bordeaux-Toulouse est « nécessaire et inéluctable » et doit être financée par l’Etat et les collectivités territoriales… Ubuesque et schizophrène non ?
Gilles Savary dans le même article de la VDR se positionne lui en opposition en déclarant : « En matière ferroviaire, l’objectif assigné par la loi de réforme ferroviaire du 4 aout 2014, de combler l’impasse annuelle de 1,5 milliards d’euros, n’est pas conciliable avec la simultanéité de quatre chantiers de LGV et le fiasco des plans de financement et des prévisions de trafics des LGV Perpignan-Figueras et Tours-Bordeaux ».
Ces alertes sont à rapprocher des conclusions pertinentes du Conseil d’Etat sur le dossier de LGV Poitiers-Limoges qui ne contenait « …aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagée pour le projet » contrairement au Code des Transports. Au préalable la Cour des Comptes, le 23 octobre 2014, dénonçait sévèrement ce projet critiquant « …les travers qu’on observe régulièrement quand il s’agit de promouvoir une ligne : sous-estimation des coûts de réalisation, surévaluation de la fréquentation… ».
Autant de constats que nous relevons depuis longtemps dans le dossier GPSO.
Faut-il que nous soyons un jour prochain entendus par nos élus et nos dirigeants actuels… et futurs.
Pour LGVEA 23/11/2016
Le Président Jean-Robert THOMAS