TER versus TGV : quel train pour quel usager ?
Par ces temps difficiles où chacun entend réduire sa facture des transports le train quotidien, le TER, revient en force dans le choix de nos concitoyens, notamment dans leurs trajets travail-domicile.
Encore faut-il que celui-ci soit en adéquation avec la capacité économique de l’usager et offre, dans des conditions normales de confort, des horaires adaptés aux contraintes spatiales qui gouvernent les déplacements quotidiens.
Ces différents problèmes étaient à l’ordre du jour d’une réunion du Comité de Ligne Bordeaux/Langon/Agen organisée le 29 octobre dernier par le Conseil Régional d’Aquitaine (CRA).
Autour de Patrick du Fau de Lamothe, conseiller régional en charge du TER Aquitaine et de l’intermodalité, nous trouvions C. Guerrinha dos Santos (Chargé des dessertes Nord Ter Aquitaine, CRA), S. Unterreiner (Adjointe au Chef de Service Transports de Voyageurs, CRA), P. Meynard (maire de Barsac et conseiller Régional), N. Cazaud (RFF), P. Cousinet (SNCF).
Dans l’assistance -une centaine de personnes dont de nombreux usagers de la ligne TER- on remarquera, entre autres, la présence de Madame Françoise Leclerc (présidente de l’association des usagers des transports publics du Sud-Gironde – AUTPSG), Monsieur Christian Broucaret (président FNAUT Aquitaine), Michel Mercier (conseiller municipal de Bègles), Monsieur Hervé Gillé (Conseiller général), Monsieur Luc Paboeuf (Président du CESER), Monsieur Joël Gillard (adjoint au conseil municipal de Saint Médard d’Eyrans)… ainsi que plusieurs élus et responsables des établissements scolaires en Sud-Gironde.
La présentation du projet de nouveaux horaires TER applicables à partir du 9 décembre 2012 allait animer les débats et faire monter la température dans la salle.
Patrick du Fau de Lamothe lançait la réunion en rappelant que le CRA avait, entre autres critères inscrits dans la convention[A] avec la SNCF, fixé un objectif qualité pour la régularité[B] des TER à 90,5%.
Le représentant SNCF présentait alors quelques planches résumant les derniers résultats sur le réseau TER en 2012 (jusqu’à fin septembre). La régularité mesurée s’établissait à 87,4% malgré un gros impact des mouvements sociaux sur le dysfonctionnement du service, notamment au premier trimestre. Par ailleurs les travaux RFF sur le réseau ont perturbé le service TER sur la ligne, perturbation qui devrait être encore perceptible au quatrième trimestre 2012.
A ces informations sur des moyennes journalières les usagers réagissent en précisant que les perturbations touchent principalement les trains du matin et du soir, ceux qui transportent la majorité des usagers effectuant les trajets domicile/travail. On rapporte aussi la problématique des capacités de stationnement dans les parkings des gares dont principalement celle de Langon : aucun accord n’a pu être trouvé avec la mairie de Langon, malgré les interventions des associations et du CRA, pour créer une nouvelle aire de stationnement pour les voitures des usagers du TER.
J’interviens alors pour faire préciser l’influence des travaux LGV et ligne classique inscrits dans le GPSO et la position de la Région sur le cadencement, l’adjonction de la troisième voie classique entre Bordeaux et Saint Médard d’Eyrans, son lien avec les LGV du GPSO...
Patrick du Fau de Lamothe rappelle qu’il souhaite que l’effort public soit prioritairement accordé à la rénovation du réseau classique[C] et que, selon lui, la troisième voie classique n’est pas espérée avant plusieurs années. Dont acte !
Les critiques des usagers s’appliquent aussi à la capacité et au confort des rames TER : capacité insuffisante des trains notamment aux heures de pointe (2 rames, 4 rames..), architecture interne des rames récentes Bombardier (places assises/debout, bacs à bagages, espace vélos…) dégradée par rapport aux rames anciennes… ! On évoque des trains en provenance de Cérons où l’on compte 300 places debout pour 170 places assises, et ce au même tarif !
Patrick du Fau de Lamothe prévient que les nouvelles rames Alstom-Coradia Régiolis commandées par le CRA, et qui vont être mises en service en 2013-2014, sont architecturées pour une capacité partagée d’environ ½ places assises, ½ places debout, ce qui provoque une levée de bouclier de la part des usagers présents qui déplorent l’abandon des anciennes rames bien mieux architecturées. Plus tard viendront compléter ce matériel roulant les rames commandées à Bombardier (produit OMNEO) sous la référence Régio2N qui elles aussi seront architecturées ½ places assises et debout (voir présentation SNCF).
Vient alors la présentation par SNCF du projet de nouveaux horaires TER applicables à partir du 9 décembre 2012 et « figés[D] » pour la période jusqu’à 2017.
Précisons que cette grille horaire TER découle d’une priorité de circulation des TGV et InterCités ainsi que de la mise en place du cadencement sur tous les types de trains à terme (TGV, TER…). Sur ce dernier point, et malgré la prise de position de Patrick du Fau de Lamothe pour un service TER amélioré en priorité face au cadencement[E], il est clair que cette méthodologie conduit à une programmation horaire qui pénalise l’usager du TER.
SNCF précise aussi que les travaux d’amélioration du réseau auront lieu principalement de nuit mais aussi de jour.
Patrick du Fau de Lamothe rappellera que les horaires TER sont induits par les horaires prioritaires TGV et InterCités et que les péages annuels recueillis par RFF pour les sillons ouverts sur le réseau (environ 4,5 milliards d’euros/an) sont financés par les Régions à 57%. On pourra regretter toutefois que le Conseil Régional d’Aquitaine abonde, hors compétence, pour 800 millions d’euros la LGV Tours-Bordeaux alors que les trains au quotidien ne répondent pas aux besoins des usagers.
Par ailleurs ces derniers s’insurgent contre des modifications d’horaires TER qui impliquent dans certains cas des allongements de durée de trajets domicile/travail de 20 à 40 minutes, le peu de sillons prévus pour les trains Bordeaux-Agen car la plupart s’arrêtent à Langon, l’absence de prise en compte des correspondances avec les autres lignes TER depuis Bordeaux (Médoc, Arcachon…).
Tout cela conduit l’AUTPSG, par la voix de sa présidente, à annoncer l’envoi d’un courrier au Président de la Région Aquitaine pour demander le maintien de la grille horaire TER 2012.
Patrick du Fau de Lamothe s’associe avec Madame Leclerc pour dire que les conditions de mise en œuvre du cadencement sont loin d’être atteintes et que SNCF/RFF doivent d’abord améliorer le service TER. Il faudrait à ce sujet revoir les départs TER « à la minute » pour privilégier les minutes 30-40 beaucoup plus adaptées aux correspondances ainsi qu’aux horaires d’embauche et d’entrée dans les établissements d’enseignement.
On remarquera que les proviseurs et principaux de ces derniers, présents à cette réunion du Comité de Ligne, revendiquent un aménagement des horaires TER qui apporterait des délais compatibles avec l’entrée en cours et la sécurisation du trajet gare/établissement.
Patrick du Fau de Lamothe a beau rappeler à plusieurs reprises que toute grille d’horaire ne saurait satisfaire la totalité des usagers du train, selon l’adage qui dit que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, la majorité des usagers présents se disent mécontents du service TER et un de ces derniers informe le Comité de Ligne de la constitution d’une pétition qui a rassemblé en quelques heures des dizaines de signatures.
Aux critiques acerbes émises par certains usagers qui revendiquent aussi le qualificatif de « clients », Patrick du Fau de Lamothe rappelle qu’aujourd’hui la recette de la vente des billets SNCF ne couvre que 30% du coût global (d’exploitation ?) du TER, montrant ainsi que ce mode de transport est fortement subventionné par la puissance publique régionale, et au final, par les impôts de tous les contribuables, usagers ou pas du TER.
La complexité évidente d’une construction de grille horaire qui touche tout à la fois aux divers vecteurs de transport ferroviaires (TER, TGV, InterCités…), à leur inter modalité avec d’autres transports privés (voitures, vélos…) ou publics (bus, tramway…), à l’organisation des travaux d’infrastructures… doit nous convaincre d’une impossible solution idéale pour tous.
En ce sens, et au vu des différentes interventions entendues ce soir, il me semble que la question des aménagements d’horaires d’embauche devrait être ouverte avec les responsables d’entreprises : des horaires flexibles, du type de ceux pratiqués dans certaines grandes entreprises aquitaines, pourraient peut être résoudre la difficile adéquation travail/transport pour nombre de salariés. L’application de ce principe aux personnels d’enseignement, s’il n’est pas à exclure pour certains cas particuliers, semble plus difficile à mettre en œuvre par la complexification des échanges parents/élèves/administration/corps enseignant.
La représentante RFF a noté certains dysfonctionnements qui pourraient recevoir une solution dans les prochaines semaines tout en précisant, elle aussi, qu’elle n’est pas demandeuse du cadencement.
Décidément il y aurait lieu de revenir posément sur cette pratique qui semble provoquer bien plus de trouble et d’inconvénients au final sans satisfaire aucune des parties (RFF, CRA, usagers…).
On a entre temps entendu une diatribe de la part de Luc Paboeuf, le président du CESER, qui se fait très critique envers RFF et SNCF, parlant même d’un changement d’horaire TER « caricatural » !
Il évoque le rapport Rivier[F] de 2005 (ici) dans lequel l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, à la demande de SNCF, concluait à la criticité importante de notre réseau ferré et à l’obligation de sa rénovation à court terme. On lira avec intérêt le rapport actualisé de septembre 2012 qui a été annoncé par RFF (ici).
Luc Paboeuf accuse RFF et SNCF d’un manque d’anticipation dans le maintien en état du réseau ferré français qui conduit selon lui à une « rupture du service public » notamment pour l’Aquitaine.
La réunion s’achève sur un sentiment d’impuissance de l’AOT (autorité organisatrice des transports - le Conseil Régional) vis-à-vis des contraintes imposées par RFF et SNCF ce qui fait dire à Patrick du Fau de Lamothe dans les colonnes de Sud-Ouest : « Là où il faudrait avoir des horaires adaptés aux besoins des usagers, on nous impose de privilégier le cadencement des trains ».
Nous suivrons avec intérêt les prochaines réunions du Comité de Ligne pour mesurer le progrès espéré par les usagers/clients du TER quant au service quotidien.
Gageons toutefois que la politique globale du tout TGV/LGV instaurée par l’Etat et les opérateurs institutionnels (SNCF, RFF) depuis des décennies devra être amendée fortement si nous voulons que le train quotidien de millions de Français (TER en province, Métro-RER en Ile de France) reçoive enfin les soins et le financement indispensables pour un vrai service public.
On nous dit que la commission mise en place par le ministre F. Cuvillier pour réviser les priorités d’infrastructures ferrées inscrites au SNIT doit émettre son rapport dans les premiers jours de 2013. Espérons qu’il ne soit pas, comme nombre de rapports émanant de commissions, un document éphémère qui serait enfoui dans les archives nationales.
Jean-Robert Thomas 2 novembre 2012
[A] Cette convention couvre la période 2009-2018 et peut être consultée sur le site du CRA (cf. http://delib.cr-aquitaine.fr/Docs/2009/0907/DELIBERATION/D0W45.pdf et son annexe)
[B] Cette régularité correspond au respect des heures d’arrivée des TER en gare avec un écart possible de +- 6 minutes.
[C] On relira à ce sujet le dernier compte rendu du Comité de Ligne où Patrick du Fau de Lamothe déclarait : « Donc notre vision, ça a été de dire : « Si on veut rendre un véritable service aux Aquitains, si on veut pouvoir développer l’offre TER, si on veut que nos futurs TER, en particulier ceux à deux niveaux, qui seront à la fois plus rapides, qui auront beaucoup plus de capacité, il faut offrir un réseau qui soit à la hauteur. » Donc, mettons l’argent dans une période de raréfaction, effectivement, de l’argent public. Mettons-le d’abord là où il y a une infrastructure qui existe. D’ailleurs, je tiens à rappeler que c’est aussi une prescription de la loi. La LOTI, la Loi d'orientation sur les transports intérieurs, précise bien qu’avant la création de toutes nouvelles lignes, on regarde s’il n’y a pas de solution existante à travers le réseau tel qu’il est, voire l’améliorer. Donc, la priorité avait été donnée par le législateur ». cf. http://aquitaine.fr/IMG/pdf/18-11-2011_CRCL_Bx-Langon-Agen-2.pdf
[D] Des ajustements seront toutefois nécessaires autour de ces horaires pour tenir compte des travaux LGV et des réhabilitations de ligne classique.
[E] Il faut savoir que le CRA pousse officiellement à ce cadencement (encore la marque de l’autocratie de son président Alain Rousset ?) comme le prouvent les déclarations sur le site du CRA (http://aquitaine.fr/politiques-regionales/transports-et-infrastructures/cadencement-du-reseau-ter-aquitaine.html ) ou les termes employés dans la nouvelle convention 2009-2018 signée entre le CRA et SNCF : « L’engagement de la Région, relayé par la SNCF, pour le renouvellement du parc de matériel roulant, la modernisation des gares, le développement de l’offre, le cadencement des dessertes, la création de pôles d’échanges multimodaux, la mise en place de nouvelles tarifications, s’est traduit par un renouveau du Ter, devenu en quelques années un mode de transport incontournable, performant et moderne, et reconnu des Aquitains ».
[F] Depuis plusieurs rapports ont suivi ce premier rapport de 2005 et l’on se rapprochera de celui publié en septembre 2012 qui conclut en particulier sur l’obligation présente de choix stratégiques pour le réseau ferré français : « Il est par conséquent probable qu’il va falloir opérer certains choix stratégiques qui avaient été repoussés jusqu’ici, notamment concernant le périmètre du réseau et la gouvernance institutionnelle »