La Revue de Presse
Février-Mars 2013
Saluons tout d’abord, une fois n’est pas coutume, une grande plume en la personne de Jean-Claude Guillebaud qui, dans un éditorial de Sud-Ouest paru le 10 mars dernier, alerte sur l’abandon de l’écologie face à la crise économique qui met le marigot politique aux abois.
Il est bien évident que la poussée écologique qui prit corps ces dernières années au sein d’une classe politique cette fois déconnectée des clivages éternels gauche-droite avait trouvé sa force dans l’urgence d’un bouleversement climatique sans précédent baptisé par certains scientifiques l’anthropocène. Sous l’impulsion de personnalités politiques (Al Gore, Cohn-Bendit…) ou écologiques (Hulot, Arthus Bertrand…) on vit alors des candidats à la présidence de la République s’engager sur un Pacte Ecologique. Cinq ans après on sait ce qu’il en restait…
Aujourd’hui l’éditorialiste de Sud-Ouest s’indigne que la prise de conscience écologique ne soit plus au cœur du modèle politique dans les premières décennies du XXIème siècle : « En matière politique et économique, en revanche, l'écologie n'est plus prioritaire, loin s'en faut. Le vieux productivisme revient en force, dans un climat de panique économique et de croissance à tout prix ».
Il appelle à la barre le philosophe Dominique Bourg qui témoigne d’un effondrement écologique dramatique si nos dirigeants politiques restent aveuglés par les mirages d’un Progrès continu et sans fin : « Tous nos modes de vie, toute la société reposent sur des flux de matières et d'énergie sans cesse croissants. Or ces ressources sont en voie d'épuisement, et notre consommation d'énergie perturbe le système biosphère. Sans décroissance de ces flux de matières et d'énergie, on ne s'en sortira pas ».
Une pensée que nous mettons en réflexion auprès de vous quand nous évoquons souvent les projets de LGV, d’aéroports, d’autoroutes…
Revenons pas ce biais aux thèmes qui sous-tendent nos revues de presse.
LGV, l’heure du choix pour la France
En écho avec les propos de Jean-Claude Guillebaud, et nous l’évoquons depuis des mois dans ces colonnes, nos dirigeants oligarques et leur appareil technocratique sont placés devant un choix politique primordial pour la France. Doivent-ils encore accélérer dans la course technologique et économique létale à terme pour le citoyen et sa descendance, celle impulsée sous les années Reagan et Thatcher, ou réfléchir aux solutions de bon sens pour garantir un développement soutenable conforme aux définitions du Rapport Brundtland de 1987 ?
C’est ce que nous espérons que choisiront les membres de la Commission Mobilité 21 chargés par le gouvernement d’un classement hiérarchique des infrastructures de transports (route, air, fer, mer…) empilées dans un Schéma National des Infrastructures de Transports pléthorique concocté sous l’ancienne majorité.
Nous ne sommes pas naïfs. Il ne s’agit pas, en ces temps où le citoyen-électeur subit l’électrochoc quotidien des plans de licenciements, d’enlever tout espoir d’un traitement du chômage par l’investissement public. Mais de faire preuve d’un courage politique et sociologique à la hauteur du défi d’une mutation du modèle économique qui nous a amenés dans l’impasse actuelle. Le choix des techniques, des modèles de transports qui limitent l’impact écologique à terme, privilégient l’adéquation au seul vrai besoin de la majorité de nos concitoyens et nous conduit à des emplois relocalisés, devra guider les travaux de la Commission présidée par Philippe Duron.
C’est lui-même, dans l’édition du 22 février 2013 de maire-info.com, qui s’interroge sur la généralisation de la grande vitesse ferroviaire dans le contexte actuel.
La commission qu’il préside doit, entre autres, retenir les projets qui présentent une performance économique et sociétale suffisante : puissions-nous enfin y voir le signe d’une « vraie » mesure d’une utilité publique pour le plus grand nombre, et non comme jusqu’à présent, « le fait du Prince » qui a prévalu au lancement de milliers de kms de LGV pour l’utilisation marginale[A] de TGV par moins de 10% de la population.
Autour de M. Malvy et A. Rousset les Chambres de Commerce et d’Industrie serrent les rangs pour assurer, coûte que coûte, le prosélytisme des LGV. C’est ainsi que la CCI Bayonne-Pays Basque, malgré une conjoncture économique dégradée durablement, persiste dans son qualificatif de « Pays Basque ; réserve d’indiens » (les Basques apprécieront…) pour inciter à prendre des risques « …qu’il s’agisse d’implantations industrielles ou d’investissement sur la ligne à grande vitesse (LGV) ».
On aurait souhaité que ces CCI analysent courageusement et de manière responsable les effets d’investissements déconnectés de la réalité économique actuelle. Ainsi elles auraient pu s’inspirer des réflexions de Pierre Recarte qui s’appuie sur les expériences espagnoles en matière d’investissement dans les LGV pour démontrer leur manque de rentabilité. Reprenant entre autres les travaux de Gérard Llobet, analyste de la Fedea[B], P. Recarte souligne les déboires des LGV espagnoles : « Le gouvernement lui-même admet que la grande majorité des LGV grande distance a enregistré des pertes en 2011 et que les recettes (hors subventions) ne couvrent pas les pertes. Il essaie de minimiser ce gâchis en annonçant des résultats d’exploitation positifs pour les lignes emblématiques au départ de Madrid vers Barcelone, Séville, Málaga ou Valence.Mais ces résultats n’incluent ni le coût de l’infrastructure ni l’achat des trains ! L’investissement dans les LGV n’est pas amorti et représente donc un énorme gaspillage d’argent public. L’argent investi ne sera pas récupéré. “C’est une folie”, s’écrie César Molinas, un ex-conseiller de la Renfe [compagnie des chemins de fer espagnols] ».
Sandrine Morel dans le Monde.fr pointait déjà il y a quelques semaines l’écart France-Espagne en matière de LGV et soulignait que ce dernier pays conservait une attitude dogmatique déconnectée des critères de rentabilité et d’utilité publique : « L’Espagne devance la France et occupe la première place en Europe en kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse : plus de 3 000. Mais ses trains sont aussi réputés pour rouler souvent à moitié vides. Et l’obsession pour doter le pays de lignes AVE (l’équivalent du TGV) défie souvent les logiques de rentabilité et d’utilité publique. D’autant plus que le transport de marchandises, de son côté, est délaissé, alors que les exportations sont le seul secteur, avec le tourisme, à afficher un comportement positif dans la crise ».
Ces élus dans l’expectative
Alors va-t-on voir les élus français de plus en plus sensibles aux arguments des opposants aux LGV ?
C’est ce que l’on peut deviner, avec quelques nuances toutefois, dans certains propos tenus au sein des instances régionales.
Ainsi les élus de l’agglomération de Pau, dans un vote parallèle, estiment à une forte majorité qu’ils ne devraient pas poursuivre leur effort budgétaire pour le financement de la LGV Tours-Bordeaux. Olivier Dartigolles voulait créer un comité de pilotage pour renégocier les engagements de l’agglo : « Le projet LGV ne fait pas partie de nos compétences. Au début, on devait conditionner notre participation. Nous marchons sur la tête si nous continuons à inscrire ces sommes ». Si nous ne sommes pas dans le rejet pur et simple de la LGV le doute économique s’insinue chez nos élus.
Restons toutefois prudents dans l’espoir d’une révélation dans l’esprit de nos élus. La présidente de l’agglo de Pau, Martine Lignières-Cassou, va jusqu’à envisager une synergie avec la Bigorre pour décrocher une LGV dans le GPSO sans toutefois éluder le choix d’une plateforme aérienne commune avec Lourdes. Où sont donc passés les arguments des thuriféraires de la LGV quant au report modal de l’avion vers le rail ?
C’est dans les propos de Jean-Luc Gleyze que l’on peut lire en filigrane un revirement possible de nos représentants dans les instances régionales (région, département…). Evoquant la LGV (GPSO) dans ses vœux de début d’année il laisse planer un doute certain dans sa finalité : «Visiblement, les voix sont de plus en plus nombreuses pour s'interroger sur la pertinence d'un tel projet. Il faut cependant rester vigilant ».
Le mirage LGV dans l’œil des collectivités territoriales
Certains élus, et non des moindres, restent sous l’influence d’un « mirage LGV » pour le Grand Sud-Ouest.
Ils devraient pourtant prendre conscience que la conjoncture socio-économique s’est profondément transformée depuis les Trente Glorieuses.
La Cour des Comptes épingle d’ailleurs sans concession les dérives de nos décideurs dans les dossiers LGV comme ceux de la LGV Est. On peut lire dans son rapport 2013 : « RFF doutait, comme la SNCF, de la rentabilité économique de la LGV Est. La participation financière des collectivités territoriales candidates à une desserte par TGV, est résultée de la conjonction d’un souhait de l’État et des propositions des collectivités territoriales. Leur participation ne s’est pas limitée aux travaux de construction de la LGV proprement dite : les collectivités ont également cofinancé l’aménagement du réseau classique permettant le passage du TGV pour assurer la desserte directe de 17 villes non situées sur la ligne à grande vitesse ».
Devant ce constat alarmant, et au vu des « gesticulations politico-économiques » de nos élus dans le dossier GPSO, on peut être inquiet de voir se reproduire de tels dysfonctionnements quand on lit plus loin dans le rapport de la Cour des Comptes : « Pour la LGV Est, malgré l’importance des investissements consentis par les collectivités territoriales (737 M€326 auxquels s’ajoutent les 879 M€ des deux contrats de projet État-Région destinés au développement des dessertes), le projet n’a bénéficié d’aucune étude préalable des retombées économiques pour ces collectivités, qu’il s’agisse du projet de LGV dans sa globalité ou des dessertes nouvelles qu’elles ont demandées ».
La Cour des Comptes semble avoir mis les pieds dans le plat quand on lit ici et là dans la presse les réactions des élus des régions Est. Jean-Pierre Masseret, président du CR maintient mordicus qu’il faut construire la deuxième gare (à Vandières) en plus de celle existante de Louvigny pour un coût global d’environ 156 millions d’euros, gabegie que dénonce la Cour des Comptes. Le reste du rapport est à l’avenant, dénonçant pêle-mêle un modeste bénéfice économique procuré par la LGV-Est pour les collectivités territoriales, des effets d’image, des choix d’implantation de gares incohérents… et rappelant en conclusion la recommandation suivante: «éclairer la participation financière des collectivités par des évaluations préalables portant sur les choix des tracés de la ligne et sur les dessertes, complétant les évaluations globales effectuées par RFF ».
On doute que de telles mesures aient été entreprises par nos élus des collectivités territoriales dans le cadre du projet GPSO… !
En cette période de course à l’emploi on aurait pu croire aux promesses de RFF, de Vinci et des nos grands élus pour que les LGV donnent du travail aux Picto-Charentais mais la réalité est moins rose. Là où certains faisaient de la surenchère (10 000, 15000, 100 000 emplois… !) le constat est là comme on peut le lire dans les colonnes de la Charente Libre.fr : « Ils sont aujourd'hui 4.200 à œuvrer sur le chantier de la LGV Tours-Bordeaux, le long des 302 kilomètres de l'axe et des 38 km de raccordement au réseau ferré actuel ». Au final, après la fin des travaux, seuls quelques centaines au plus de personnes pourraient être employées à la maintenance de la LGV, reconverties dans des PME locales ( ?) ou dispatchées dans d’autres territoires… On est loin des promesses mirobolantes affichées pour justifier les 7,8 milliards de cette LGV. Une étude de la Banque de France vient corroborer l’effet « mirage » des LGV sur l’emploi local comme le rapporte Vincent Buche dans les colonnes de La Nouvelle République.fr : « A la lecture de cette étude, on ne peut que constater que l'énorme chantier de la Ligne à grande vitesse n'a pas eu les effets escomptés sur les entreprises du BTP de la Vienne et de la Charente, dont les effectifs salariés ont encore baissé ».
Demain quelle planète ?
Le mirage économique des LGV ne doit pas cacher l’agression écologique majeure à laquelle on doit s’attendre sur de tels chantiers.
Jean-Claude Guillebaud nous alertait sur le délaissement de l’écologie au seul profit d’une économie productiviste un peu folle.
Sur le terrain, tout près de nous, l’attaque se fait sournoise, voire se masque sous les traits d’une aubaine écologique pour les futurs riverains de la LGV Tours-Bordeaux.
Ainsi à Lapouyade où l’argent du Fond de Solidarité territoriale vient aider au nettoyage de quelques dizaines d’hectares de forêt dévastée par la tempête de 1999. L’initiative peut paraître sympathique mais la LGV va détruire par ailleurs plus de 3200 hectares de terres naturelles et agricoles… !
La faune aussi va payer un lourd tribu à la grande vitesse ferroviaire.
Sous couvert d’une opération de sauvegarde des espèces présentes sur le tracé de la LGV, on déplace quelques spécimens dans des lieux d’accueil mais on oublie de dire que ces habitants auront quelques difficultés à s’adapter et à survivre dans leurs nouveaux biotopes[C].
Pour LGVEA
Jean-Robert Thomas 25 avril 2013
[A] Rappelons que si le TGV a transporté plus de 2 milliards de passagers depuis la mise en service de ses premières rames (au total sur LGV et lignes classiques) il est socialement marqué en faveur des ménages les plus riches comme l’évoque Médiapart (http://blogs.mediapart.fr/blog/julien-milanesi/080211/qui-utilise-le-tgv )
[B] Fedea : Fondation des Etudes d’Economie Appliquée
[C] On pourra se reporter aux études de l’influence de la structure du biotope pour les amphibiens en consultant le mémoire d’Alexandre Boissinot http://www.polebocage.fr/IMG/pdf/DIPLOME_EPHE_A_BOISSINOT_2009.pdf