Qui veut des Lignes à Grande Vitesse ?
Il faut une LGV… C’est l’avenir…la modernité, le désenclavement des territoires…
Autant de déclarations sous forme d’incantations qui sont censées nous faire accroire que les LGVs seraient l’alpha et l’oméga pour notre avenir régional.
Doit-on croire ces augures ? N’y-a-t-il pas là œuvre de propagande de la part de quelques caciques politiques afin de conforter leur seule gloire ?
Ne serait-ce pas de leur part une manipulation de l’opinion publique pour nous faire accepter des infrastructures ferroviaires qui, au final, ne répondraient pas aux critères d’utilité publique pour les habitants du grand Sud-Ouest ?
Partant d’analyses émises par des personnalités indépendantes, et souvent spécialistes des infrastructures de transports, tentons d’y voir plus clair dans un imbroglio socio/techno/économique qui masque parfois les vraies raisons d’une propagande bâtie sur le thème de la « modernité ».
Les périodes préélectorales sont un moment privilégié pour prendre la mesure de l’engagement des élus ou des impétrants.
Prenons la déclaration récente de François Deluga pour initier la problématique : « Le grand dossier de la ligne à grande vitesse (LGV) sera l'enjeu majeur des cinq prochaines années. Je me suis opposé au tracé de la LGV par le Sud-Gironde. Non pas au principe de la LGV qui est positif pour l'Aquitaine et le département de la Gironde. J'ai voté contre ce tracé. Aujourd'hui, sur ce tracé, le gouvernement avance à marche forcée. Je continue à être contre, mais il faut être présent pour défendre les territoires et obtenir des contreparties extrêmement importantes, dans les cantons du sud et dans ceux de La Brède et Podensac. ».
Si cet élu, initialement opposé au tracé est de la LGV du programme GPSO, en vient à cette position, que dire des thuriféraires obstinés d’un tel projet qui, de la gauche (Alain Rousset), à la droite (Alain Juppé), n’ont cessé de peser pour accélérer les décisions ministérielles et l’acquiescement des élus des collectivités locales, verrouillant ainsi tout retour en arrière.
Pour Gilles Savary, « l’expert transport du Conseil Général », le choix est fait : « Le tracé proposé est celui qui fera le moins de dégâts. Ne nous voilons pas la face. Si le tracé ne traversait pas les Graves, il traverserait le Sauternais et là ce serait encore plus catastrophique ». Il faudra peut être qu’il explicite cette position aux habitants de l’Arruan traversé par la LGV maintenant qu’il a été oint par Philippe Madrelle pour être le candidat socialiste à la députation dans la nouvelle 9ème circonscription.
A cela que peut- on répondre ?
Partant de quelques exemples puisés dans la bibliographie traitant de l’aménagement du territoire et des infrastructures de transports nous allons porter un éclairage distancié sur cette « soif de grande vitesse ».
Le premier d’entre eux provient de Jean F. Ollivro dans un article déjà ancien[I] (1997) où il analysait les critères spatiaux comme éléments primordiaux de la contestation à l’encontre du TGV Méditerranée. Reprenant des travaux plus anciens de Plassard il notait : « Qui repousserait ce moyen de transport futuriste [TGV] qui conforte l’image régionale et induit un effet de modernité pour les régions desservies… ?». Mais il poursuivait pour préciser que « le problème du TGV, c’est qu’il lui faut des rails » et que « …sa difficulté est d’être un continuum rigide qui consomme une certaine emprise (environ 7 hectares par kilomètre), occasionne des nuisances (notamment sonores) et engendre différentes coupures (visuelles, territoriales, hydrauliques, paysagères) sur les espaces traversés. Or, avec une ligne à grande vitesse ces espaces parcourus à très grande vitesse-mais sans arrêts- sont légions puisque les haltes doivent être largement distantes les unes des autres pour que le train puisse être suffisamment performant ».
Tout est dit et l’on retrouve les principaux griefs d’une LGV (et non d’un TGV) qui ne serait alors qu’un symbole de pouvoir et sa marque historique (sa pyramide) pour l’élu qui s’y raccroche.
A cela Jean F. Ollivro rajoute que la SNCF se plie à la concertation avec les élus pour éviter l’opposition frontale à un projet qui semblerait imposé par la structure étatique et technocratique : « Ainsi les premières variantes sont élaborées au gré des quémandes des grands élus, notamment dans l’optique de recevoir des gares ».
Enfin il tire quelques enseignements du conflit entre les opposants et SNCF au sujet du TGV (LGV) Méditerranée en soulignant que toute la procédure se fait « top-down », partant de décisions nationales ou européennes pour aboutir très longtemps après, et après une cascade de validation par les différents élus, au recueil « d’avis final » par le citoyen, l’habitant, celui qui devra subir…
Quinze ans après RFF a remplacé SNCF mais la stratégie est la même et la réaction des grands élus est la même !
A cet instant un autre exemple visant la méthodologie de la concertation employée par les maîtres d’ouvrage doit être souligné.
Il provient des commentaires portés par Etienne Ballan, sociologue indépendant, qui participait à une table ronde dans le cadre des débats publics sur l’implantation des infrastructures[II] organisée par le MEEDDM et l’ADEME. Il remarquait tout d’abord que les débats publics ne portaient pas sur la légitimité du projet, sur son « pourquoi ». Il notait ensuite : « Il me semble que dans ce que vous décrivez le maître d’ouvrage est le garant de la démocratie sur les projets qu’il mène. On a bien un Comité de suivi composé d’élus, ce qui est déjà intéressant, mais c’est le maître d’ouvrage qui organise ce Comité, et qui convainc les élus d’y participer.
Pourtant, dans l’attitude du maître d’ouvrage, il me semble qu’on note assez souvent une certaine aversion, si ce n’est pour la démocratie en général, en tout cas pour une pratique trop ouverte de cette démocratie ».
On ne peut être plus critique d’une pratique par le maître d’ouvrage qui se perpétue sous couvert de « démocratie » et avec l’onction des grands élus issus de la « démocratie représentative ».
Cette même table ronde permettait à Jean Gonella (France Nature Environnement) de pointer le biais introduit par les techniciens (technocrates) en charge des projets.
Citons-le quand il dit : « L’emploi systématique et incantatoire du mot « désenclavement » pose question. Bien sûr les ingénieurs ont parfaitement le droit de dire quelles sont leurs conceptions du désenclavement, à condition qu’elles soient discutées et exprimées. Mais, lors d’un débat avec ces ingénieurs, on pourrait, preuves à l’appui, nommer le même phénomène « segmentation du territoire », « blocage des lieux dits », voire « enclavement » ou « destruction de l’économie locale ».
On ne peut constater ici que ces propos peuvent parfaitement coller aux pratiques de RFF pour le GPSO.
Autre leitmotiv accaparé par nombre de maîtres d’ouvrages et de grands élus : le caractère structurant des infrastructures de transports.
Or des spécialistes de l’urbanisme, et non des moindres, s’opposent à cette pensée unique en parlant de mythe politique ou de mystification scientifique.
C’est le cas entre autres de Jean-Marc Offner[III] qui, dés 1993, voulait « … montrer que l’usage peu circonspect de la notion d’effet structurant des transports constitue une sorte de mystification scientifique au regard des enseignements des travaux empiriques et des réflexions théoriques ».
Son analyse sociologique de ce qu’il qualifie de « mythe politique » le conduit, avec d’autres chercheurs[IV], à émettre des doutes quant à un principe de causalité qui voudrait qu’une infrastructure de transport moderne (i.e. les LGV/TGV) implique le développement des territoires traversés : « Les répercussions du TGV sur les activités des zones desservies ne sont pas automatiques (…). Aussi convient-il de s’affranchir de tout discours qui établirait une relation déterministe… ».
Même si elle semble un peu datée cette approche a depuis reçu plusieurs confirmations de la part d’autres chercheurs[V] (Le TGV n’est qu’un outil d’accompagnement, un révélateur de disparité, un accélérateur de tendances déjà sensibles, et non un agent d’aménagement du territoire, comme on l’a trop souvent dit, écrit et cru) ou à l’occasion d’études par des institutionnels[VI] (Les gares TGV de Saône et Loire ont eu un faible impact sur l’implantation des entreprise…).
Un article récent de l’Indépendant (12/12/2011) vient enfoncer le clou sur l’incompatibilité techno-économique d’un système LGV/TGV créé pour la liaison à grande vitesse de métropoles importantes et qui ne peut s’appliquer aux petites ou moyennes villes françaises : les grands TGV ne s’arrêteront pas en gare de Perpignan[VII] qui ne peut être reliée que par « un crochet » depuis la LGV ce qui ferait perdre 20 minutes sur le parcours vers l’Espagne !
A toutes ces contradictions, réticences, interrogations… quant au caractère d’utilité publique des nouveaux projets de LGV/TGV que répondent les principaux responsables des opérateurs ferroviaires (SNCF, RFF) et politiques en charge des infrastructures de transport.
L’emblématique représentante de ces derniers, notre ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, semble maintenant peu encline à porter seule le chapeau d’un choix qui pourrait ne pas s’avouer judicieux dans les prochaines années. C’est ainsi qu’on peut lire à propos du GPSO dans l’édition du Petit Bleu de Lot et Garonne en date du 15/10/2011 : Kosciusko-Morizet a répété que si les élus locaux ne veulent pas de la LGV, ils ne l’auront pas.
C’est elle aussi qui s’interrogeait dans une interview à Sud-Ouest le 6 juin 2011 à propos de la LGV Bordeaux-Espagne : « Il existe un questionnement : en a-t-on vraiment besoin, y a –t-il vraiment un risque de saturation ? ».
Pour les premiers on ne retiendra que les propos de Guillaume Pépy (PDG de SNCF) qui reconnaît les limites du système LGV/TGV en répondant dans la Gazette.fr : « Je vais le dire autrement : on ne peut imaginer un droit de chaque ville au TGV en France ». C’est lui aussi qui reconnaît dans le magazine Challenges que la dette SNCF pourrait remettre en cause la poursuite de l’activité TGV des dessertes non rentables.
Son homologue de RFF, Hubert du Mesnil, déclarait que « l’argent public devrait d’abord aller au réseau existant, les LGV ne devant être réalisées que si on a les moyens de les payer », rappelant aussi dans l’Express « qu’il manque un milliard d’euros chaque année pour financer dans de bonnes conditions la rénovation du réseau ferroviaire français ».
Alors que doit-on penser de l’acharnement de quelques grands élus à vouloir à tout prix une LGV dans leurs régions, leurs métropoles ?
N’est-ce pas là un aveuglement qui risque d’entraîner toute une génération dans une dette supplémentaire contraire aux vrais besoins de transports d’une majorité de la population, contribuable par ailleurs ?
On comprend assez bien l’appui qu’ils trouvent auprès d’institutionnels para politiques comme les CCI, les CESER, les magazines spécialisés du BTP ainsi que les grands groupes de ce secteur (Bouygues, Vinci, Effiage…).
On s’inquiète que cette utopie gagne parfois nos élus locaux des petites-moyennes communes, bercés par les mirages d’un développement économique promis mais bien souvent absent au final.
Nous sommes toutefois convaincus que ces derniers sauront trouver prochainement, dans ce dossier des infrastructures ferroviaires de transports, la lucidité nécessaire pour peser utilement sur l’avenir de leurs concitoyens et sur l’équité socio-économique à laquelle ceux-ci aspirent tant en ces temps de crise.
Jean-Robert Thomas 15 décembre 2011
[I] Les critères spatiaux, éléments primordiaux de la contestation à l’encontre du TGV Méditerranée, Jean F. Ollivro, Annales de Géographie, 1997, t. 106, n°593-594, pp. 51-80.
[II] Améliorer les débats publics sur l’implantation des infrastructures : quels apports de l’expérience et quels apports de la recherche ?, séance n°, lundi 17 septembre 2001 (cf. http://concertation-environnement.fr/documents/regards_croises/seance_5.pdf )
[III] Jean-Marc Offner, directeur général de l’agence d’urbanisme Bordeaux-Aquitaine, ancien patron du laboratoire techniques, territoires et sociétés de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées de Paris.
[IV] Il cite ici en référence l’étude parue sous la référence Effets socio-économiques du TGV en Bourgogne et Rhône-Alpes (DATAR, INRETS, OEST, SNCF, LET), juin 1986
[V] Voir par exemple l’étude d’un groupe de chercheurs Etude cadre des effets du train à grande vitesse sur la ville moyenne parue en septembre 2006 (source http://lgv.limogespoitiers.info/images/stories/doc/Barcelone-Perpignan.pdf )
[VI] Notons par exemple l’étude d’impact des gares TGV en Saone et Loire menée par la DDE en 2007
[VII] Perpignan rassemble toutefois 120 000 habitants intra muros et prés de 300 000 avec l’aire urbaine !