LGV du GPSO : le projet de trop ?
La fin mars 2012, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, a vu tomber la décision ministérielle de poursuite du projet de LGV GPSO.
Cette annonce, prévisible après la tenue du COPIL du 9 janvier dernier, était toutefois incertaine à quelques jours d’une échéance majeure de la vie politique française et devant les interrogations persistantes quant à la pertinence et à la justification du besoin réel d’une telle infrastructure dans cette période de crise profonde, sociétale et économique.
On peut trouver pour preuve qu’il aurait été bienséant pour la pratique démocratique d’attendre les données des différentes études parallèles lancées autour du GPSO (nouvelle étude CITEC engagée par les élus du Pays Basque, Observatoire des trafics mis en place par Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM) en Pays Basque, évaluation du mode de financement du GPSO confiée au CGEDD…) en découvrant la réaction des élus du Pays Basque, qui ont boycotté la réunion prévue avec Marie Bonnet (ex directrice du cabinet de NKM), signifiant ainsi le mépris renouvelé des instances gouvernementales à leur égard.
On pourra comprendre leur déception et leur amertume à l’annonce de la validation du tracé GPSO par François Fillon en parcourant l’article de Sud-Ouest.
D’autre part cette décision à l’aube d’un nouveau quinquennat pour la France peut être perçue comme un pari impossible quand on observe de partout en Espagne, au Portugal… les refus des nouveaux gouvernements pour poursuivre l’implantation des LGV, gouffres financiers en cette époque de dettes publiques abyssales.
L’exemple récent de l’abandon de la LGV Madrid-Lisbonne par le Portugal montre que nous sommes peut être au bout d’un modèle technico-économique bâti dans les années 80 (cf. http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/le-portugal-renonce-au-tgv_288688.html ).
Peut-on prévoir alors que dans les prochains mois on découvre enfin que le GPSO pourrait être « le projet de trop » du nouveau gouvernement ?
Mais revenons quelques instants sur le texte officiel du courrier signé par Daniel BURSAUX[I], le directeur général des infrastructures, des transports et de la mer qui signifie le 30 mars au président de RFF l’approbation ministérielle sur le tracé du GPSO et les conditions de poursuite des études menant à l’EUP ( voir texte complet ci-après http://sd-5.archive-host.com/membres/up/8889538985686605/docs_gene/decision_ministerielle_30_mars_2012.pdf ).
Si dans sa première partie il ne fait que rappeler les étapes précédentes ayant conduit à la décision du 30 mars 2012, on notera toutefois qu’il est fait état de la « synthèse des consultations menées en Aquitaine et en Midi-Pyrénées auprès des élus concernés, des acteurs locaux et des services et établissements de l’Etat » sans qu’aucune publication de cette synthèse ait à ma connaissance été faite, ce qui amène une fois de plus une part d’ombre sur la validation du caractère « d’utilité publique » qui s’attacherait au GPSO.
Nous ne revenons pas en détail sur l’affirmation ministérielle qui stipule sans démonstration que la LGV Bordeaux-Espagne « …permettra également d’améliorer la compétitivité du transport ferroviaire de marchandises en améliorant sensiblement la capacité et la qualité de service sur le corridor européen de fret ferroviaire n°4 ». Ceux qui s’intéressent de près à ce secteur des transports[II] savent bien qu’il est fort probable que la LGV ne change pas la spirale décroissante du fret ferré en général qui est, depuis des années maintenant, en concurrence déloyale face au fret routier qui ne supporte pas lui la charge des investissements publics pour la route.
Sur le plan local, à la sortie sud de Bordeaux, on indique clairement enfin que le GPSO sera articulé selon deux opérations distinctes : le tronc commun LGV pour les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne d’une part, les « aménagements de la ligne existante » entre Bordeaux et Saint Médard d’Eyrans d’autre part en précisant plus loin que « les procédures préalables à la déclaration d’utilité publique de chacune de ces opérations seront indépendantes ».
Nos craintes déjà exprimées dans nos analyses quant à la stratégie de RFF de saucissonnage du GPSO, visant à mieux diviser la perception d’ensemble de la part des citoyens et des élus locaux, et ainsi fracturer une opposition construite, partagée et raisonnée de ceux-ci, reçoivent ici confirmation par l’application de cette découpe des procédures administratives.
Or il ne faut pas perdre de vue que l’Etat, et les supporteurs du GPSO, viendront réclamer aux citoyens, via les collectivités locales, l’ensemble des investissements publics- plusieurs milliards d’euros- que vont requérir toutes ces nouvelles infrastructures : ligne(s) supplémentaire(s) classiques entre Bordeaux et Saint Médard d’Eyrans et LGV.
Sous couvert d’arracher la décision pour une LGV, et au motif d’un impératif venant de la Région qui reste hautement contestable pour satisfaire le réel besoin des usagers (le fameux cadencement[III] des trains régionaux), nous subirons des procédures distinctes pour ces deux opérations ce qui risque d’altérer fortement, pour le citoyen et/ou l’élu local, la vision globale des contraintes écologiques, sociales et économiques sur l’ensemble du GPSO.
Autre sujet d’inquiétude pour les habitants de l’Arruan : la multiplication des travaux et ouvrages d’art qui accompagnent les infrastructures des lignes classiques et LGV.
Dans ce cadre la lettre ministérielle précise qu’est confirmé le déplacement de la ligne actuelle classique Bordeaux-Toulouse sur les communes de Saint Médard d’Eyrans, Ayguemorte-les-Graves et Beautiran (plusieurs km de voies ainsi que la construction de trois ouvrages d’art de plusieurs centaines de mètres de long[IV]) ce qui alourdira notablement la « facture » économique, sociale et écologique du GPSO. Il est assez fallacieux et cocasse de lire sous la plume de Daniel BURSAUX que tout ceci serait justifié « par un aménagement améliorant la transparence[V] du site Natura 2000 du Saucats » !
On peut constater que la mise en œuvre de ce souhait biblique de la part de l’Etat est bien loin d’être respecté sur le terrain quand on observe le traitement réservé à une zone Natura 2000 par un « aménagement améliorant la transparence » comme le viaduc de Jaulny pour la LGC Est en Meurthe-et-Moselle !
Figure 1Viaduc de Jaulny -Source trainsfrançais.com
De même on ne peut qu’être inquiet d’un projet qui va passer sur les périmètres de protection du puisage d’eau potable (axe Budos-Bellefont) dans le secteur de Castres-Gironde, puisage assurant l’essentiel de la ressource locale et contribuant pour plus de 20% aux besoins de la CUB. Il faut craindre des pollutions possibles de ces captages lors des travaux et, en corolaire, des coûts supplémentaires pour les ouvrages d’art que va requérir leur traversée par la LGV.
N’oublions pas aussi le bouleversement des réseaux routiers que vont engendrer la construction de la ligne classique complémentaire et la LGV : la fermeture des passages à niveaux, et la construction des nouveaux ouvrages d’art de franchissement, ne seront pas sans impact sur l’environnement et la vie quotidienne des habitants tout en grevant le coût du projet.
Comment parviendra-t-on à garantir un équilibre coût/service sur tous ces aménagements quand on relève à plusieurs reprises dans la lettre ministérielle des prescriptions pour RFF de conserver « la préoccupation de maîtrise du coût des investissements sur l’ensemble de la ligne nouvelles et sur les aménagements des lignes existantes » ?
Rappelons à ce sujet les nombreuses alertes[VI] lancées par la Cour des Comptes, les bilans LOTI du CGEDD…dans les différents contrôles financiers des coûts des LGV françaises où il n’est pas rare de relever des dépassements atteignant 25% de l’estimation initiale : une technologie pour des vitesses de 320-350 km/h coûte cher !
L’alternative d’un aménagement des voies existantes[VII] répondrait au juste besoin avec un rapport coût/service optimum.
Que dire par ailleurs de l’ironie que l’on pourrait déceler dans la lettre ministérielle en découvrant qu’il est demandé à RFF pour la suite des études que « le travail d’approfondissement sur l’insertion du tracé retenu par la présente décision devra être mené en concertation avec les acteurs locaux » quand on sait ce qu’il en a été durant toutes ces années depuis le débat public de 2005-2006 ?
N’a-t-on pas pu constater que de nombreux maires, élus locaux, associations…ont été déçus et floués dans leurs attentes avec RFF alors que les exemples abondent tout au long des années de « concertation » tant sur la LGV Tours-Bordeaux que pour le GPSO ?
Que penser, avec l’expérience récente des dégâts environnementaux constatés lors de la construction des LGV Est et Rhin-Rhône, des « bonnes intentions » affichées en lisant « qu’une attention particulière devra être portée au respect de la réglementation en vigueur sur le bruit ferroviaire, l’insertion des ouvrages d’art dans le cadre d’une vision globale de la préservation des paysages, ainsi qu’à l’impact du projet sur la gestion des ressources en eau » ? C’est oublier sans doute les expropriations tuant le lien social, les habitants sous nuisance acoustique malgré des protections toujours à la limite inférieure d’une réglementation du bruit obsolète, les zones Natura 2000 balafrées… !
Enfin nous restons circonspects sur les directives ministérielles entourant l’évaluation socio-économique du projet.
Tout en rappelant à RFF qu’il se doit de mener cette évaluation en prenant en compte « …des résultats des travaux visant à réduire l’estimation du coût complet du projet » _ n’y a-t-il pas là le risque de reproduire ce que dénoncent la Cour des Comptes ou les bilans LOTI, à savoir la sous-estimation systématique des coûts prévisionnels des projets LGV ?_ le ministère évoque bien des points qui restent tout à la fois primordiaux et obscurs pour le citoyen Aquitain qui devra subir le GPSO.
Ainsi il est recommandé à RFF de « prendre en compte des hypothèses de réalisation cohérentes avec la saturation prévisible des capacités de la ligne existante et intégrant l’avancée des travaux de l’Observatoire des Trafics et des évolutions économiques transfrontalières installé le 14 novembre 2011 ».
Ne doit-on pas voir là une incohérence profonde dans la gestion d’un projet d’infrastructure de l’importance du GPSO quand on s’engage, après 7 ans d’études, vers une EUP en 2013, alors qu’il semble que l’on ne soit pas sûr à ce jour d’une réelle saturation du réseau existant et des incidences des flux économiques sous le vent de crise mondiale ?
De même que doit-on penser de la mission donnée à RFF aujourd’hui pour apporter, avant septembre 2012, « les éléments permettant la compréhension du besoin d’augmenter la capacité des lignes actuelles due au titre de chacune des activités ferroviaires (trains express régionaux, trains aptes à la grande vitesse, fret, Intercités) » ?
Peut-on croire alors que de tels éléments n’aient pas été identifiés et fournis depuis longtemps à nos élus des collectivités territoriales à qui on a demandé plusieurs fois de s’engager dans des conventions de financement du GPSO au motif qu’il serait « La Réponse » à tous ces besoins ?
Doit-on se lamenter qu’après des années d’études de la part de RFF qui auront coûté au contribuable des dizaines de millions d’euros[VIII] on se trouve, à un an de l’EUP, dans une expectative quant au réel besoin du GPSO ?
Nous étions pourtant nombreux au sein des associations en Aquitaine et Midi-Pyrénées à réclamer en vain depuis 2005 une réelle analyse du besoin d’infrastructures de transports sur nos territoires.
Enfin explorons avec le Conseil Général des Ponts et Chaussées (CGPC- (Eléments de réflexion mars 2006 sur la Démarche prospective transports 2050) quelques idées fortes qui devraient guider nos décisions politiques en matière de transports pour les prochaines années.
Le CGPC pense que « les vitesses offertes par les différents réseaux ne s’accroîtront plus, sauf émergence dans les 50 ans d’un nouveau mode de transport économiquement viable (sans prémices aujourd’hui, cette hypothèse est jugée improbable) ; elles risquent même de stagner, voire de diminuer, pour des raisons d’exploitation des réseaux, de sécurité ou d’environnement ».
Dans l’hypothèse d’un scénario « de repli européen et de déclin » sur les prochaines années, ce qui ne peut être écarté dans l’environnement économique perçu en Grèce, en Italie, en Espagne, et pourquoi pas demain en France, le GCPC prévoit une régression du flux des voyageurs où « la mobilité longue distance serait encore plus affectée par la faiblesse de la croissance des revenus : la croissance ne serait que de l’ordre d’un tiers contre un doublement dans les autres scénarios. La croissance du trafic TGV resterait cependant relativement plus élevée, de l’ordre du doublement sur la période ». Pour le TGV il faut alors se dire que ce moyen de transport devrait certainement, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, emprunter les LGV existantes et les réseaux classiques.
Toujours dans ce même scénario le fret serait aussi très contraint et « la faible croissance économique, le peu de dynamisme du commerce extérieur, et d’importantes délocalisations, qui ont un impact sur les transports intermédiaires, conduiraient à une stabilisation des volumes de transport qui se trouveraient en fin de période à un niveau proche, en tonnes x km, du niveau actuel ».
Malheureusement rien d’exclut à mi 2012 que de telles prospectives doivent être écartées.
Faudra-t-il finalement attendre le tsunami annoncé çà et là dans les prochains mois sur les comptes de la Nation pour admettre peut être que le GPSO est « le projet de trop » ?
Jean-Robert THOMAS 19 avril 2012
[I] On signalera qu’une polémique entoure cette missive qui oppose Michèle Alliot-Marie et François Fillon. La première dénonce une décision « administrative » prise par un haut fonctionnaire et inconnue du ministre des transports et du premier ministre. Ce dernier réfute l’accusation en précisant que la validation du tracé proposé par le COPIL a été faite sous le contrôle et l’approbation des différents ministres concernés (cf. article du Sud-Ouest du 16/04/2012 http://www.sudouest.fr/2012/04/16/lgv-mam-et-fillon-ne-sont-pas-sur-la-meme-longueur-d-ondes-689852-652.php ). On cherchera peut être longtemps où se trouve la vérité…
[II] De nombreuses communications, études, déclarations… issues des milieux politiques, économiques, universitaires, syndicaux… viennent corroborer le fait que le fret ferroviaire français subit un lent et continu déclin depuis des années. Tous s’accordent pour dire que la gouvernance à la SNCF, les conditions socio-économiques de la branche fret, la fausse concurrence entre le fer et la route… sont autant de facteurs du déficit chronique de ce secteur malgré les multiples plans de restructuration et de relance engagés année après année.
On pourra lire entre autre l’analyse du syndicat FIRST, l’évolution du fret terrestre à l’horizon de 10 ans vu par le CGEDD, une analyse stratégique comparative des frets ferroviaires européens…
[III] Si le cadencement procure par définition des horaires de passages fixes pour l’usager, il ne répond pas forcément au besoin réel de celui-ci pour des capacités unitaires du train choisi (nb de places disponibles) qui relèvent plutôt du type de matériel exploité (duplex…) et de la longueur de rame accessible par les aménagements à quai et peut être même parfois perturbateur pour le rendement maximal d’une ligne comme le suggère une étude SETRA, organisme rattaché au MEDDTL..
[IV] Une visualisation synthétique de ce complexe d’ouvrages d’art situé en sortie sud de Saint Médard d’Eyrans peut être donnée sur le site RFF du GPSO (cf. panneau « débranchement du GPSO » dans la vidéo http://www.gpso.fr/lecteurVideoServeur.html?source=2 ).
[V] Que penser du terme « transparence » utilisé par Daniel Bursaux quand on peut voir les immenses ouvrages d’art installés par RFF sur des zones Natura 2000 ou ZNIEFF comme sur les photos prises sur le tracé de la LGV Est Européenne prés de Jaulny (cf. http://www.trainsfrancais.com/forum/viewtopic.php?f=22&t=34969 )
[VI] C’est ainsi que le CGPC relève dans son rapport sur les LGV Nord Europe et Ile de France des écarts de coûts au km, entre prévision et réalisation, compris entre 16 et 25% (cf. http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Aviscgpc004624-01_cle27de41.pdf ). S’agissant des prévisions de construction de 2000km de LGV à l’horizon 2020 issues du SNIT et du Grenelle de l’Environnement, la Cour des Comptes indiquait clairement fin 2011 que : « Ce programme aurait donc un coût annuel moyen pour l’Etat de 3,4 milliards d’euros alors que le gouvernement estime que l’AFITF devrait disposer de 2 milliards d’euros de ressources annuelles lorsque l’éco-redevance poids lourds sera mise en service (cf. http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/Referes/Refere_grenelle_environn.pdf )
[VII] C’est ce qui est proposé par les conclusions de l’étude indépendante sur l’axe Bordeaux-Toulouse, étude lancée en 2011 par une association d’élus lot et garonnais, Alternative LGV. Elle peut être consultée par le lien ci-après http://www.archive-host.com/link/6b861e1e7a81123b45d33677c1dcc3d2112128e0.pdf
[VIII] RFF déclare en mars 2012 avoir besoin de 19,5 millions d’euros pour effectuer les études complémentaires du GPSO. Or il faut se rappeler que depuis des années déjà les collectivités territoriales, sans grande publicité, abondent au financement de ces études. C’est ainsi que par exemple les collectivités de Midi-Pyrénées ont versé 32 millions d’euros en 2008 (La Dépêche.fr du 15 février 2008) alors que l’Aquitaine a participé à hauteur de 44 millions d’euros (cf. http://www.gpso.fr/GPSO_plaquette_web.pdf )