La voix des élus
Nous étions de ceux qui, depuis des années déjà, alertaient citoyens et élus sur le mirage d’une corrélation et d’une causalité entre la construction des LGV et l’expansion économique des villes et territoires traversés.
Une fois de plus des géographes comme Marie DELAPLACE viennent confirmer qu’il n’y a rien d’automatique entre le dynamisme d’un territoire et l’arrivée d’une LGV (cf. http://www.sudouest.fr/2012/04/13/impact-economique-rien-d-a-utomatique-686754-710.php ). Ce mythe de l’attractivité associé aux seules infrastructures de transports se heurte à la réalité scientifique comme le montre l’exemplaire capitale du Nord, Lille, étudiée par le département de Géographie de l’Ecole Normale Supérieure (cf. http://www.geographie.ens.fr/Le-mythe-de-l-attractivite-par-la.html ).Rappelons que, dès 1993, Jean-Marc OFFNER, géographe et actuel Directeur Général de l’Agence A’URBA à Bordeaux, parlait[I] du « mythe politique et de la mystification scientifique » qui soutenaient l’effet structurant du transport, notamment des LGV, en concluant « …accréditer l’idée que la notion d’effet structurant des transports s’avère sans fondement scientifique ».
C’est encore Marie Delaplace, analysant « l’effet TGV » en Champagne-Ardenne en 2006[II] qui pointait le risque d’une compétition d’agglomérations liée aux LGV en notant : « Sur le département de la Marne, Reims, capitale économique de la Champagne-Ardenne, voit ainsi son accessibilité renforcée au détriment d’autres villes telles que Châlons-en-Champagne ou Epernay ».
Depuis ces dernières années en France les exemples de cette déconnexion entre la traversée des territoires par une LGV et la croissance de ceux-ci abondent dans les différentes recherches universitaires et trouvent souvent en écho les déconvenues des élus locaux face au mythe de la grande vitesse.
Au-delà du contexte géographique lié aux LGV, ces dernières constituent aussi un vecteur de la dichotomie sociale observée dans les moyens de transports, le TGV comme l’avion étant plus souvent réservés aux catégories supérieures de la société française. Ce fait est souligné notamment dans l’étude bibliographique poussée présentée dans un colloque sur la grande vitesse ferroviaire en 2010 où l’on relève : « Si les gains de temps s’accompagnent d’une augmentation des trafics et de reports modaux, les trafics sont souvent inférieurs de 10 à 20 % par rapport aux estimations. Les reports modaux concernent par ailleurs des catégories de voyageurs aux revenus élevés qui ont renoncé à utiliser l’avion au profit de la grande vitesse ferroviaire. C’est donc la clientèle des CSP supérieures et intermédiaires qui est la grande bénéficiaire de la grande vitesse. Les professions supérieures des activités de conseils, d’études et d’assistance connaissent ainsi la plus forte croissance de leur mobilité ».
Sur le plan régional il est intéressant de noter que même RFF, dans une étude[III] visant à prévoir les effets d’une LGV entre Bordeaux et Narbonne sur le développement des aires urbaines d’Agen et Montauban et sur l’aménagement des territoires traversés, reconnaît que « La nouvelle ligne à grande vitesse aura des effets sur les territoires de l’axe, mais ces effets seront hétérogènes, souvent conditionnels et qui pourront participer à l’évolution tendancielle d’un axe qui tend à s’effacer aux profits de Toulouse et Bordeaux ».
A cet effet de polarisation de l’économie et de développement au profit des « métropoles régionales » nos élus seraient bien avisés de réfléchir et d’y voir un danger pour la survie du maillage des petites villes satellites.
Cela est d’autant plus urgent que les maigres subsides étatiques accompagnant la construction des LGV, et accordées à ces communes, relèvent d’un saupoudrage sans comparaison avec les dégâts que provoque une telle infrastructure sur l’aménagement public dans ces territoires : ce n’est pas les quelques 10000 euros/km délivrés par le Fond de Solidarité Territoriale[IV], soumis à des conditions précises pour leur délivrance, qui atténueront l’immense « déménagement » du territoire pour des centaines de petites communes.
Les énormes ponctions financières sur les collectivités locales, et par là sur nos impôts, que réclament aujourd’hui la construction de LGV sont à mettre en perspective avec le peu d’avantages attendus pour l’immense majorité des petites localités implantées sur le parcours et les nombreux impacts sur leur environnement, leurs infrastructures publiques existantes (édifices, routes…), leur assèchement économique au profit des métropoles régionales comme Bordeaux ou Toulouse.
Aujourd’hui les élus locaux confrontés sur le terrain aux entreprises concessionnaires sous pilotage de COSEA (Vinci) découvrent la réalité d’un diktat de cette dernière qui s’affranchit souvent de la réglementation et des clauses de négociation établies auparavant entre les collectivités territoriales, l’Etat et RFF.
Ainsi on défriche sans précaution et au mépris de la loi sur l’Eau en Nord-Gironde, on valide le tracé du GPSO sans attendre les négociations engagées avec les élus locaux en Pays-Basque, les bulldozers avancent au Pays-Basque espagnol sans se soucier des élus communaux et des habitants.
Toujours au Pays-Basque français ce sont 14 communes sur 16 concernées par le GPSO qui refusent de négocier avec RFF devant la tentative de passage en force de ce dernier.
En Charente certains maires, prenant conscience du désengagement de RFF pour le réseau ferroviaire classique alors que tous les moyens vont à la LGV, somment l’organisme ferroviaire d’assumer ses engagements initiaux et refusent les conditions d’indemnisation sous évaluées que RFF propose aux habitants.
Ces élus, comme tant d’autres en Poitou-Charentes aujourd’hui, en Aquitaine et Midi-Pyrénées demain, seraient bien inspirés d’entendre aussi le cri de leurs concitoyens spoliés de leur propriété par RFF.
Ils pourraient aussi réfléchir à l’évolution d’un aménagement du territoire que va amener la LGV entre les métropoles et au poids réel que va représenter cette infrastructure dans le déplacement des Aquitains face au quasi-monopole de la route pour les trajets courts-moyens (50-500 kms) et l’essor du low-cost aérien pour les trajets moyens-longs (>500 kms).
Enfin il serait pertinent de s’interroger sur les méandres des nouvelles pratiques de financement des infrastructures de transports en France (les PPP) qui risquent d’être l’équivalent, pour les collectivités territoriales et l’Etat, des « crédits révolving » pour les particuliers : mise de fond public sans retour économique pour le citoyen, fuite en avant d’investissements publics participant à la dette publique mais profitable préférentiellement au BTP privé... Il est notable qu’Henri Emmanuelli, par ailleurs thuriféraire de la LGV dans les Landes, parle de « grand flou » et a des prudences de renard quant aux clauses nébuleuses d’une convention de financement impliquant les collectivités territoriales dans le tour de table du GPSO.
Alors que conclure quant à l’implication de nos élus dans le dossier LGV ?
Si les sirènes du modernisme et de la technologie ont pu jusqu’alors brouiller la réflexion équilibrée que se doit d’avoir un élu en charge de l’avenir de ses concitoyens, les temps présents lui rappellent l’importance d’un choix critique et argumenté dans ses décisions.
Doit-on voir dans la déclaration de Fabrice BARUSSEAU, conseiller général, dans Sud-Ouest.fr « Créer une autoroute ou une LGV apportera peu de choses en termes de services aux habitants et encore moins en termes d'emplois locaux » une amorce de clairvoyance ?
Il est encore temps pour ceux qui se disent mandatés par leurs électeurs d’agir en toute indépendance pour le bien public, pour le véritable intérêt général, pour un équilibre des territoires : leur voix doit être entendue.
C’est par leur discernement, leur respect du concitoyen, leur équité dans les choix d’un aménagement du territoire pour le bien du plus grand nombre que nos élus locaux gagneront le respect et la reconnaissance de leurs électeurs.
Jean-Robert Thomas 30 avril 2012
[I] Voir Les « effets structurants » du transport : mythe politique, mystification scientifique ; Jean-Marc OFFNER, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, L’Espace Géographique, n°3, p. 233-242, 1993
[II] L’arrivée de la LGV en Champagne-Ardenne et la nécessaire réorganisation des rapports de proximité ; Sylvie BAZIN, Christophe BECKERICH, Sophie MASSON, Marie DELAPLACE ; Les Cahiers Scientifiques du Transport, n°49/2006. p. 51-76
[III] Voir http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-lgv-bordeaux-toulouse/docs/pdf/etudes/amenagement-(synthese).pdf
[IV] Voir par exemple pour Tours-Bordeaux en Charente http://www.charentelibre.fr/2012/03/17/neuf-millions-pour-panser-les-plaies-de-la-lgv-en-charente,1085126.php