La Revue de Presse- Eté 2013
Mon indisponibilité temporaire ces derniers mois ne m’a pas permis d’assurer régulièrement une revue de presse mensuelle.
La présente se nourrira donc des informations principales qui se sont égrenées depuis le mois de mai et qui ont émaillé cet été 2013.
On peut d’ailleurs voir que ces semaines passées ont été, pour les associations qui défendent nos territoires contre les Grands Projets Inutiles Imposés comme les LGV, toutes entières suspendues aux décisions découlant des travaux de la Commission Mobilité 21.
Petit rappel : cette Commission, présidée par Philippe Duron[A], a été mise en place fin 2012 par Frédéric Cuvillier, ministre des transports, pour hiérarchiser les quelques 70 projets d’infrastructures de transport qui avaient été regroupées dans le Schéma National d’Infrastructures de Transports (SNIT) élaboré par le précédent gouvernement.
Ce SNIT prévoyait entre autres des milliers de km d’autoroutes et de LGV pour un montant estimé à 245 milliards d’euros sans toutefois y adjoindre un plan de financement associé !
Après plusieurs mois de travail et d’entretiens avec de nombreuses personnalités du monde ferroviaire, du monde politique et associatif, la Commission Mobilité 21 a rendu son rapport le 27 juin dernier.
Les LGV n’ont plus le vent en poupe puisque seule la Bordeaux-Toulouse, et dans l’hypothèse optimiste d’un scénario 2 qui nécessiterait 30 milliards d’euros d’ici à 2030, serait alors lancée vers 2017.
Depuis lors, et après un intense lobbying de la part des pro-LGV dans les semaines qui ont précédé sa parution, ce rapport sonne le glas des LGV et provoque de multiples réactions dans tous les milieux tant politiques, qu’économiques ou associatifs.
Libération.fr rapportait dés le 27 juin les propos de P. Duron « Mon ambition est celle d’investissements pensés au service de transports efficaces » et de J.M Ayrault, premier ministre « Ne soyons pas polarisés sur les seules lignes à grande vitesse ».
Le ton était donné et les réactions se sont multipliées.
Martin Malvy, président du Conseil Régional de Midi Pyrénées, s’il affecte une solidarité de façade avec son collègue Alain Rousset dans les colonnes de La Dépêche.fr (« Le président de la région Midi-Pyrénées a rappelé, hier, la volonté de la région Midi-Pyrénées de voir «retenu et poursuivi l’intégralité de GPSO». C’est à dire à la fois la liaison Bordeaux-Toulouse mais aussi la desserte vers l’Espagne, renvoyée dans le projet Duron après 2030 ») ne cache pas sa satisfaction de voir la LGV Bordeaux-Toulouse en tête des priorités LGV.
Alain Rousset voit dans le report de la LGV Bordeaux-Espagne un risque fort d’abandon pur et simple de l’unicité du GPSO, lui qui en a été le chantre et le promoteur obsessionnel. Tous les montages financiers qu’il avait fomentés et imposés auprès de ses partenaires politiques de tous bords, risquent d’imploser si certaines collectivités des Landes et des Pyrénées Atlantiques en particulier venaient à refuser de s’engager plus avant dans le financement des LGV de Tours-Bordeaux et du GPSO (« Hier, le président du conseil régional d’Aquitaine, Alain Rousset, a mis en avant les risques contentieux avec des collectivités au sud et à l’est de Bordeaux, vers Hendaye et Toulouse, qui, dans le montage financier ont participé au financement de Tours-Bordeaux et réclameraient d’être remboursées si la LGV ne passait pas sur leurs territoires »).
Certains élus hier si enclins au mirage de la LGV et des TGV se sentent aujourd’hui floués après les annonces de la Commission Mobilité 21 et les déclarations qui ont suivi de la part de J.M Ayrault pour un report après 2030 de la LGV Bordeaux-Espagne.
C’est ce qui ressort des déclarations des groupes UMP et Forces 64 en Pyrénées Atlantiques qui entendent demander au président PS G. Labazée la cessation immédiate des versements du CG64 pour le financement de la LGV Tours-Bordeaux.
On devrait toutefois demander à ces élus pourquoi ils n’ont rien entendu des multiples alertes venant du milieu associatif qui dénonçait un acharnement schizophrénique de certains grands élus pour le tout LGV et le suivisme bienveillant de bon nombre d’élus locaux.
Maintenant que le premier ministre reconnaît et approuve les conclusions de la Commission Duron, on doit reconnaître que l’Etat semble avoir, par la voix de J.M Ayrault, amorcé un virage irrémédiable en matière de politique ferroviaire : « L’urgence n’est pas de lancer de nouveaux projets pharaoniques et déficitaires mais d’agir pour la mobilité quotidienne des Français ».
Reste donc à connaître maintenant comment l’Etat Français, conjointement avec RFF et les collectivités territoriales, entendent financer concrètement le seul projet LGV restant pendant dans les conclusions de la Commission Mobilité 21 (Bordeaux-Toulouse).
On évalue officiellement aujourd’hui cette LGV à 7,1 milliards d’euros (valeur 2012).
En s’appuyant sur l’expérience Tours.Bordeaux et les différents documents officiels traitant des coûts à terminaison des précédentes LGV, nous pouvons parier que dés l’EUP- DUP envisagée en 2014, le budget prévisionnel dépassera allègrement cette estimation.
Comment, en cette période de crise économique intense et prolongée, les porteurs de ces projets entendent-ils les financer ?
L’Etat semble acculé à la rigueur. Il lui faut trouver, selon la Cour des Comptes, 14 milliards d’économies pour revenir aux 3% de déficit maximum en 2015.
Les collectivités territoriales voient leur dotation bloquée jusqu’en 2015 et rien ne laisse espérer des largesses de l’Etat au-delà.
RFF et ses 31 milliards de dettes, qui pourraient culminer à plus de 60 milliards prochainement ne semble pas en état pour abonder suffisamment dans la rénovation des voies existantes (la priorité affichée) et les LGV.
Reste le secteur privé avec ses majors comme Bouygues, Eiffage et Vinci.
Mais la rentabilité des prochaines LGV réclamées et inscrites dans le SNIT reste hypothétique même pour les experts : « Il y a une certaine logique à ce coup de frein, explique Didier Bréchemier, spécialiste du transport au cabinet Roland Berger, dès lors que les lignes les plus rentables sont déjà exploitées par SNCF et que la construction des nouvelles va aggraver les problèmes de financement de RFF ».
C’est du cœur même de la Commission Mobilité 21, par un de ses membres Yves Crozet, que l’on apprend dans une interview au magazine La Vie du Rail[B] que « la LGV pour tous n’est pas un bon slogan ».
Il indique que pour le GPSO « les coûts sont très élevés par rapport aux gains potentiels de trafic » et précise plus loin : « Mais entre une amélioration ciblée de la ligne actuelle [Bordeaux-Toulouse] et la LGV sur toute la distance, il n’y a que six à sept minutes de temps gagné. Est-ce que cela vaut 3 ou 4 milliards de plus ? ».
Plus globalement Philippe Duron évoquait début juillet 2013 devant la Commission du Développement Durable de l’Assemblée le financement du ferroviaire français : « Le deuxième constat porte sur le modèle de développement du ferroviaire, dont la situation financière est très délicate, malgré un montant de subventions publiques très élevé : 12,5 milliards d'euros sur un coût de fonctionnement de plus de 21 milliards. Pourtant, le système ferroviaire ne parvient pas à stabiliser son coût. Au moment des Assises du ferroviaire, le déficit atteignait 1,5 milliard d'euros par an. Il a été de 3 milliards l'an dernier, la moitié de cette somme provenant des coûts engendrés par les nouveaux projets. Se pose donc la question de la soutenabilité financière des nouveaux projets pour RFF, et des conséquences résultant de l'article 4 de son règlement ».
Il sait de quoi il parle et le constat est clair : on ne pourra plus s’engager dans de nouveaux projets LGV au vu de l’état des finances publiques surtout si l’on doit répondre sans tarder à l’impérieuse nécessité de la rénovation du réseau. Il parle du « temps du courage et des responsabilités » pour justifier les recommandations de la Commission Mobilité 21 et il faudra bien y venir pour redresser notre système ferroviaire déficient.
Car l’actualité immédiate vient tragiquement nous rappeler qu’aujourd’hui nous avons environ 30 000 km de voies à entretenir.
L’accident de Brétigny rouvre le dossier de la maintenance et de la rénovation[C] des voies existantes où certains peuvent y voir les conséquences d’une limitation des crédits absorbés durant des décennies en priorité pour la construction des LGV/TGV.
Le Monde.fr souligne cette carence : « A bout de course, le réseau a souffert, entre les années 1980 et le début des années 2000, d'un sous-investissement chronique en matière de modernisation, tandis que le pays s'équipait de nouvelles lignes à grande vitesse ».
Sans anticiper sur les conclusions définitives des enquêtes en cours sur cet accident nous ne pouvons qu’être circonspects quant à la priorité absolue qu’aurait dû être donnée depuis des années à la maintenance/rénovation des voies existantes.
Rappelons qu’encore tout récemment en 2012, les experts de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne chargés d’analyser la mise en œuvre des recommandations de 2005 du professeur Rivier, relevaient dans leur conclusion : « Les volumes financiers consacrés au renouvellement du réseau ont connu une progression significative, signe d’une prise de conscience de l’urgence de la situation. La trajectoire en la matière est conforme aux recommandations de l’audit Rivier. Le rythme de montée en puissance de l’investissement est cependant inférieur aux préconisations de l’audit : entre 2006 et 2010 il a manqué au total 1.6 G€ (CE 2010). Cet écart n’a pas permis d’inverser la tendance au vieillissement de certaines parties du réseau ferré national. Plus inquiétant, la conjoncture économique mondiale et nationale actuelle est susceptible de porter un frein à la croissance nécessaire des budgets de renouvellement de l’infrastructure (le suivi des recommandations de l’audit Rivier nécessiterait 450 M€/an supplémentaire au cours des prochaines années). Or il est vital de poursuivre cet effort d’investissement afin de pérenniser le patrimoine des axes structurants (voies et caténaire en particulier) ».
La tragédie espagnole de l’accident ferroviaire de l’Alvia vient renforcer le doute sur les installations ferroviaires réalisées à l’économie, ou insuffisamment équipées pour la grande vitesse. Le Monde.fr relève : « Or, le lieu de l'accident n'est pas équipé avec le système ERTMS (malgré les passages fréquents de TGV sur cette voie) mais du système ASFA, a dénoncé le principal syndicat des conducteurs de trains espagnol (Semaf), selon lequel l'accident aurait peut-être pu être évité si le train avait été bloqué par l'ERTMS ».
L’ERTMS rappelons-le est un système de sécurité qui s’installe en priorité sur les nouvelles LGV mais peine à être installé sur les voies existantes pour des questions de coût. Nous avons soutenu dés la parution de l’étude indépendante d’ALTernative LGV (étude du cabinet Claraco pour Bordeaux-Toulouse) que l’amélioration et la sécurité de la voie actuelle rénovée, pour des trains circulant jusqu’à 200-220 km/h, se devaient d’intégrer ce système ERTMS.
Clin d’œil enfin pour terminer sur la duperie si souvent dénoncée dans ces colonnes et ignorée des responsables politiques et étatiques : le mythe de la LGV génératrice d’emplois.
Si nous n’avons jamais nié qu’un chantier LGV pouvait, de manière ponctuelle et temporaire, renforcer l’emploi, nous avons toujours crié à la démagogie quand certains claironnaient qu’il pouvait amener des milliers et des dizaines de milliers d’emplois pérennes pour des salariés français, et plus particulièrement pour des locaux.
Or le rideau se déchire peu à peu et les médias, après avoir rapporté béatement les imprécations de nos grands élus pro-LGV, en viennent à présent à pointer quelques évidences.
La Nouvelle République.fr, sous la plume de Baptiste Bize, écrit : « L'embellie liée aux recrutements pour la construction de la LGV Tours-Bordeaux a fait long feu. La Vienne voit son chômage continuer à augmenter avec + 11 ,3% en un an.
C’est aussi dans ce journal qu’Aurore Ymonnet s’interroge sur l’avenir des ouvriers du chantier LGV Tours-Bordeaux : « La première phase du chantier de la LGV Tours-Bordeaux n'est pas encore terminée que Cosea, l'État, Pôle emploi et la Région s'inquiètent déjà du sort de ses ouvriers ».
Dominique Morin, directeur régional du Pôle Emploi, déclare : « Il faut rappeler que près de 60% des employés sont issus de l'insertion: chômeurs, handicapés, jeunes sans qualification, bénéficiaires minima, seniors… Il faut leur assurer un avenir ».
Où sont donc les emplois « pérennes » ? Que penser des 8 millions d’euros mis encore au pot pour la formation sur 3 ans (quelle formation, pour quels emplois, financée par quelle source…) ?
Ne tentons donc pas d’étouffer un peu dans les sphères officielles la réalité d’un mythe entretenu pour faciliter, en ces temps critiques de chômage, le lancement permanent de LGV qui révèlent à terme leur inutilité socioéconomique ?
L’illustration peut venir d’un article de Sud-Ouest où le journaliste a semble-t-il voulu broder sur un sujet de société sans voir qu’il mettait en exergue ainsi les paradoxes attachés au soit disant emploi local.
Sur les six employés Coséa rencontrés lors de cette interview on dénombre un Savoyar/Toulousain, une Paloise, un Normand, une Talençaise, un Ambarésien et un Portugais. Ce dernier évoque d’ailleurs la provenance géographique majoritaire des collègues de chantier en précisant : « 95 % de Portugais sur ce chantier-là ».
Nous n’avons rien contre la mobilité des européens en recherche d’emploi car avec 11% de chômage en moyenne et 23,5% chez les jeunes de moins de 25 ans c’est un devoir humaniste de tout faire pour casser cette fatalité.
Mais nous ne pouvons acquiescer aux déclarations trompeuses et démagogues des responsables français qui utilisent comme un ostensoir la lutte pour « l’emploi local» afin de nourrir leur mégalomanie pour les chantiers de LGV.
Espérons que les mois à venir verront les vérités de telles manœuvres mises en lumière.
Jean-Robert Thomas 30 juillet 2013
[A] Philippe DURON, député du Calvados et maire de Caen, membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, président de l’AFITF.
[B] La Vie du Rail n°3424, 17-23 juillet 2013.
[C] On se rappellera que le rapport Rivier de 2005 et son actualisation en 2012 avaient pointé des manques évidents de maintenance du réseau, et principalement sur les lignes « secondaires ».