Ils ont osé…
C’est officiel depuis aujourd’hui : les LGV au sud de Bordeaux verront le jour dans les prochaines années foi de ministre !
Frédéric Cuvillier vient donc de donner raison aux inconditionnels des LGV et plus particulièrement du GPSO.
Alain Rousset et son ami/ennemi Martin Malvy paradent aussitôt pour commenter une LGV Bordeaux-Toulouse en 2024, un trajet Bordeaux-Dax en 2027 et une prolongation Dax-frontière espagnole en 2032. Toutefois le président de la Région Aquitaine laisse percer un doute quant au financement de tels projets en glissant : « Son financement devra d’ailleurs être optimisé et faire appel à des solutions innovantes ». Lesquelles ? Un PPP qu’il appelle parfois et voue aux gémonies à d’autres occasions ? Des fonds souverains (Chine, Quatar…) comme l’évoquait récemment notre géronte landais Henri Emmanuelli ? Des « projects bonds » européens hypothétiques et fortement dépendants des capacités financières de la BEI et de l’Europe pour les prochaines années ?
Il faut d’ailleurs revenir plus en détail sur les différentes déclarations de Frédéric Cuvillier pour apprécier toutes les contorsions politico-politiciennes qui les accompagnent.
Le ministre répond aux députés que « cette ligne [Bordeaux-Toulouse] est la seule qui doit être mise en chantier avant 2030 »[A], comme l’avait indiqué en juillet le premier ministre Jean-Marc Ayrault (voir édition de France3), mais déclare quelques heures après qu’il y aura aussi Bordeaux-Dax en 2027. Ces pas de tango argentin, un pas en avant, deux pas en arrière, deviennent trop souvent l’apanage d’un gouvernement socialiste aux abois sur tous les dossiers et versé dans une tactique politicienne en prévision d’élections municipales et européennes à hauts risques pour le pouvoir en place.
Céder aux manœuvres d’Alain Rousset et consorts pour ménager les courants socialistes aux municipales en Aquitaine, aménager le projet d’écotaxe poids lourds pour calmer la Bretagne en colère…autant de faux fuyants qui révèlent une fragilité politique et un manque de stratégie à long terme dans le domaine économique.
Car ces grandes déclarations sur le lancement d’infrastructures de transport à grande vitesse sont mâtinées d’injonctions dans une quête effrénée pour leur financement.
Valérie Deymes , journaliste à Sud-Ouest, dans son article du 23 octobre met le doigt sur les interrogations des élus dans ce sens : le maire d’Agen, Jean Dionis du Séjour, est « convaincu que le plan de financement Etat-collectivités ne se fera pas et qu’il faudra penser à une délégation de service public et à des concessions privées » ; Pierre Camani, président du Conseil Général du Lot-et-Garonne, estime pour sa part que « ce n’est pas que le Conseil Général est contre la LGV, au contraire, mais il ne peut pas la financer, à moins de ne plus investir sur le département, ce qui serait impensable ». Et de conclure « il va falloir effectivement revoir le plan de financement et peut-être envisager une part plus importante des opérateurs ».
Si Frédéric Cuvillier parait bien optimiste (utopiste ?) sur le financement du GPSO « Le calendrier retenu est en phase avec les possibilités financières dont nous disposerons à compter de 2018 », il rappelle que le tour de table inclut obligatoirement les collectivités territoriales et exclut à priori un partenariat public-privé (PPP).
Tout cela semble être une fois de plus le signe d’une impéritie constante de nos gouvernants successifs dans le domaine économique et la preuve que les annonces sont rarement bâties sur des capacités réelles de financement (cf. ex SNIT).
Bercy tâtonne pour bâtir un projet de budget pour 2014, les experts économiques se perdent en conjectures pour annoncer des taux de croissance fiables, mais en tous cas très faibles, sur les trimestres à venir, et personne ne peut parier sur l’état financier de la France et de l’Europe à court-moyen terme.
Qui peut croire aujourd’hui que la courbe du chômage va s’inverser fin 2013 et que les rentrées des impôts qui s’amoncellent sur le contribuable colmateront le déficit et la dette de l’Etat ? Qui peut acquiescer à un coût de la LGV Bordeaux-Toulouse de 5,9 milliards d’euros (dixit F. Cuvillier) alors que RFF en 2011 annonçait 7,8 milliards ? Qui peut soutenir que les collectivités territoriales, exsangues et sous restriction de dotation étatique, pourront abonder des projets de plusieurs milliards d’euros à hauteur de 50% ? Qui peut jurer que l’UE versera des milliards pour un axe Bordeaux-Toulouse non prioritaire ? Qui peut certifier que l’écotaxe poids lourds, si vivement contestée par les camionneurs, renflouera l’AFITF pour lui permettre de mettre des milliards dans les LGV avec dans le même temps la rénovation de 30000 kms de voies classiques en déshérence?
Alain Rousset évoque aussi des financements européens pour les LGV du GPSO à hauteur d’un milliard d’euros.
Il oublie d’y adjoindre les conditions. Ces financements accordés dans le cadre du programme RTE-T proviennent du budget européen, budget provenant des finances publiques des états membres qui sont sous contrainte et endettés. Les nouveaux corridors de transports européens décidés par la commission européenne ces jours derniers s’applique à un arc atlantique ouest qui relie le Nord de l’Europe et l’Espagne mais ignore Bordeaux-Toulouse. De plus la priorité est donnée par la Commission à l’axe Est-Ouest qui doit aider aux transports (tous types) vers les pays d’Europe Centrale (Hongrie, Roumanie…).
Rappelons que lors du débat public de 2006 RFF évoquait les financements européens pour la seule portion transfrontalière Dax-Vitoria qui n’apparaît aujourd’hui envisageable qu’au-delà de 2030-2032 selon les déclarations de F. Cuvillier.
Pour nous les présentes décisions ministérielles en faveur des LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax vont bien au-delà des conclusions de la Commission Duron déjà bien cadrée par les lobbies du BTP, les directives gouvernementales, les pressions politiques des grands élus. Nous n’en voulons pour preuve que le commentaire laconique de Philippe Duron dans les colonnes de Sud-Ouest Dimanche (édition du 20 octobre 2013) en réponse à la question du journaliste « Les élus aquitains se raccrochent au lancement d'une enquête publique pour Bordeaux-Dax en même temps que pour Bordeaux-Toulouse. Qu'en pensez-vous ?
Réponse de Philippe Duron : « C'est selon moi une porte de sortie politique. Je n'en dirai pas plus ».
Le citoyen/contribuable/électeur que nous sommes tous appréciera ce nouvel accro à la démocratie représentative… à méditer lors des prochaines échéances électorales.
Jean-Robert Thomas 24/10/2013
[A] On ne retrouve pas les termes exacts des propos prêtés à F. Cuvillier quand on consulte les questions posées à la Chambre des Députés le 22/10/2013 (cf. http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140032.asp#P66736 )