Gares d’hier et gares d’aujourd’hui : un changement de paradigme.
Résumé :
La question des corrélations, et des causalités, pouvant exister entre l’implantation des grandes infrastructures de transports ferroviaires, et des gares qui les accueillent, et le développement des territoires traversés et/ou desservis reste pendante depuis des décennies.
L’interprétation technocratique classique tend à valider un paradigme officiel qui donnerait à ces infrastructures un pouvoir structurant incontournable ayant pour conséquence un accroissement de l’attractivité des agglomérations desservies et un développement corrélatif de leur sphère socioéconomique.
Or cette hypothèse est loin d’être vérifiée à tout coup quand on s’applique à rechercher des éléments statistiques certifiés, des résultats d’études scientifiques ou universitaires attachées au domaine des transports, des conclusions d’analyses économiques indépendantes de la sphère (du lobby ?) politico-économique dans laquelle se décident les grandes infrastructures de transport ferroviaire françaises au début du XXIème siècle.
Nous tenterons de donner quelques échos à ces données qui viennent mettre à mal des paradigmes véhiculés par la technostructure.
On verra alors que les causalités évoquées par celle-ci ne sont pas toujours prouvées à la lumière des faits constatés par différents auteurs ou analystes du domaine du transport, et plus généralement de la géographie et de l’économie.
La naissance du transport ferroviaire, voyageurs et fret, remonte au plus tôt aux années 1830-1850.
Mais depuis que de chemin parcouru et quelle évolution dans le modèle du transport ferroviaire et de son environnement !
Nous abordons plus particulièrement aujourd’hui les corrélations et causalités pouvant intervenir dans l’essor économique des territoires avec le vecteur ferroviaire et ses infrastructures de service, les gares.
Quand se sont implantées les premières gares en Europe, et plus particulièrement en France, le territoire était jusqu’alors vierge de réseau ferroviaire. Les premières lignes (1827-Saint Etienne-Andrézieux avec des wagons tractés par des chevaux, puis Paris-Saint Germain_en_Laye en 1837) consacrent l’avènement des gares centrales au cœur des villes.
C’est ce qui arriva pour Bordeaux dans les années 1840-1860 qui inaugura la gare Saint Jean en 1855 après que les premiers trains fussent partis de la gare Bordeaux-Ségur ou Bordeaux Orléans (Bastide).
Il semble alors logique que lignes et gares, selon le principe de l’Etoile de Legrand, soient situées sur les axes démographiques principaux reliés à la capitale, Paris.
La France compte de nos jours quelques 366 gares importantes ou moyennes qui accueillent à elles seules plus 1600 millions de voyageurs annuels.
Pour la Gironde, après les années de purge ferroviaire suivant la guerre 39-45, qui ont vu l’abandon de milliers de km de voies ferrées du réseau français pour cause de non rentabilité, on compte environ 80 gares desservant les villes « importantes » (Bordeaux, Langon, Arcachon, Libourne…) ou « moyennes-petites » (Villenave-d’Ornon, Pessac, Bègles…).
Cette réorganisation nationale des chemins de fer, s’appuyant sur une analyse purement économique d’un réseau pléthorique, a profondément modifié la carte des liaisons ferrées recentrant la quasi-totalité des infrastructures sur les axes Paris- métropoles de province.
On peut juger de l’importance du dégraissage en comparant les cartes du réseau des années 1914-1930 (Fig.1) et actuel (Fig.2).
On comprend aisément que ce recentrage structurel du réseau ferré va parallèlement avec une concentration des moyens et des gares sur les centres démographiques principaux.
Si l’on examine une corrélation possible entre l’implantation des gares principales (ou la construction de nouvelles gares) et l’implantation démographique française on peut être frappé par des convergences évidentes : le réseau ferré moderne et ses gares sont situés au plus près (à quelques exceptions près sur lesquelles nous reviendrons plus loin) des concentrations urbaines principales.
Un exemple de cette corrélation peut être trouvé en comparant la carte du réseau actuel (Fig.2) et les évolutions démographiques récentes sur le département de la Gironde (Fig.3).
A quelques exceptions près (peu explicables en l’état) les zones à forte croissance démographique se répartissent principalement autour des axes de circulations ferroviaires et routières.
N’oublions pas à ce propos que l’aménagement du territoire, depuis les années 60 et encore pour beaucoup aujourd’hui, s’appuie sur la révolution industrielle de l’automobile et, en corolaire, sur l’implantation et l’entretien d’un réseau routier et autoroutier de première importance en France.
L’INSEE sur les seuls transports intérieurs à la France dénombre en 2009 plus de 720 milliards de voyageurs-kilomètres en voiture particulière pour moins de 100 milliards en transports ferrés (dont à peine 50 milliards pour le seul TGV).
Figure 1 Carte du grand Chaix 1914-1930 -Source http://rubio.eric.pagesperso-orange.fr/historisncf.htm
Figure 2 Carte réseau SNCF actuel. Source http://rubio.eric.pagesperso-orange.fr/historisncf.htm
Figure 3 Croissance population girondine -Source INSEE Aquitaine janvier 2009. Consultable sur http://aquitaine.fr/cartes/Demographie/Aq_DEMO_03_EvoAnnuelPop_1999-2006.pdf
Elles démontrent aussi l’attractivité géographique et démographique des zones situées sur ces axes et sur des lieux de vie privilégiant la qualité de vie (zone côtière atlantique, axe vallée de la Garonne/ côte Atlantique, Libournais…).
Dans notre panorama corrélatif n’oublions pas de signaler aussi les conclusions d’une étude récente de l’Université Paris-Dauphinei sur l’attractivité des villes françaises (voir carte Fig. 4).
Les chercheurs y notent que les agglomérations attractives sont souvent déconnectées des stéréotypes courants et que des facteurs décisifs différentiés sont prépondérants pour le choix du lieu de vie des Français.
Ainsi ils concluent : « La géographie (Ouest et Sud du pays), la taille (modérée), l’offre de consommation et de service, l’architecture et l’urbanisme, la paix sociale, la possibilité de devenir propriétaire, etc., sont à cet égard déterminants. Désormais, l’environnement, au sens large, compte au moins autant que les perspectives professionnelles ».
Figure 4 Attractivité des villes françaises. Source INSEE Paris Dauphine. Consultable sur http://www.fondation.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/docs_pdf/publications/immobilier/rapport_attractivite_residentielle_alexandre_cusin_juillard_2010.pdf
Ils pointent aussi une dichotomie entre l’attractivité économique (forcée et subie ?) et l’attractivité résidentielle : « Deux modèles de ville ressortent du lot : celui de la ville attractive parce que compétitive et celui de la ville attractive parce que plébiscitée pour son cadre de vie et sa situation géographique ».
Ainsi pourrait s’expliquer le mouvement massif continu observé depuis longtemps pour des résidences privilégiées par les Français dans le Sud, dans des villes moyennes ou petites (Agen, Bayonne, Perpignan…).
Dans les différents facteurs examinés par les auteurs de l’étude l’effet des infrastructures de transport est évoqué quand on relève : « C’est tout particulièrement le cas des transports. Il s’agira d’une part de mesurer l’influence des transports interurbains dont dépend la place des agglomérations dans les réseaux de ville à l’échelle nationale et internationale. Le sort des villes dépend toujours plus de leur accessibilité depuis d’autres territoires. Les réseaux ferroviaires, viaires et aériens ont cette capacité à abolir les distances, ou au contraire à laisser à l’écart du développement les villes peu connectées ».
Les auteurs ouvrent des pistes de réflexion devant conforter les observations de leur première étude en posant la question de l’apport du marketing urbain, de l’urbanisme, de l’offre immobilière…
La question de l’influence des transports interurbains est posée : la corrélation reste à établir.
Alors nous arrivons à la question centrale de causalité entre l’extension d’infrastructures de transport ferroviaire inter métropoles (principalement les Lignes à Grande Vitesse –LGV- et leur conjugaison avec l’implantation géographique des gares) et le développement démographique, ainsi que socioéconomique des dites métropoles.
Faut-il croire, comme certains membres de la technostructure administrative, économique ou politique, à l’intangibilité des retombées bienfaitrices de telles infrastructures pour le développement économique et sociétal des villes françaises?
Rien n’est moins sûr quand on regarde de plus près ce que nous apprennent les expériences récentes en la matière.
Certains urbanistes reconnus comme Jean-Marc Offnerii ont déjà mis en évidence que l’on ne pouvait établir une relation directe entre infrastructure de transport et développement du territoire : « il n’y a pas d’effet structurant au sens d’une relation de cause à effet entre l’arrivée d’une voie de transport et le développement de la zone desservie ».
Faut-il voir dans le triptyque voie ferrée/gare/ville une tautologie qui veut nous faire croire que l’infrastructure ferroviaire (voies et gare) conduit inéluctablement à l’expansion de la ville qui l’accueille?
Ce serait oublier le poids prépondérant des décisions en matière d’urbanisme, d’implantations industrielles et commerciales, de politiques fiscales et économiques… qui sont autant de facteurs positifs ou négatifs dans l’attractivité et le développement urbain.
On pourrait ainsi réfléchir à la validité d’un raisonnement cyclique qui lie, sans en démontrer la source initiale, urbanisation, infrastructure de transports, développement.
Peut-on croire sans à priori dogmatique qu’une infrastructure de transport peut, à elle seule, permettre un développement continu d’une aire urbaine ?
Nous pouvons nous interroger sur ce modèle: http://sd-2.archive-host.com/membres/images/8889538985686605/Mickey.jpg
Sans aller à contester totalement, et aveuglément, l’influence des infrastructures de transport ferroviaire sur ces paramètres de développement on peut s’appuyer sur d’autres sources pour argumenter valablement qu’elle ne peut être la seule à être prise en compte.
L’étude de chercheurs géographes de Reimsiii sur les impacts socioéconomiques de la LGV-Est pour la région rémoise, si elle dégage des conclusions contrastées, souligne toutefois quelques points importants sur les corrélations entre cette infrastructure ferroviaire et le développement des territoires.
On note tout d’abord qu’il n’existe pas un « effet TGV » systématique puisque les paramètres mesurés (déplacements, immobilier, emplois et activités économiques…) indiquent qu’ils varient selon la taille de l’unité urbaine et sa localisation par rapport à Paris.
L’appel d’air économique pouvant résulter des gares TGV s’exprime au travers notamment de l’immobilier d’entreprise et les auteurs le caractérisent ainsi : « En termes d’immobilier d’entreprise, les villes TGV qui ont connu un succès de leurs opérations immobilières, ont présenté un certain nombre de caractéristique telles que la disponibilité de projets d’immobiliers d’entreprises au moment de l’arrivée du TGV de façon à bénéficier de l’effet vitrine, la bonne accessibilité quel que soit le mode de transport, l’existence de bureaux conformes aux standards parisiens près des gares dans les grandes villes, occupés pour certains par des entreprises locales. En outre, la commercialisation des programmes immobiliers et fonciers qui est fortement influencée par la conjoncture économique, n’a jamais été conforme aux prévisions ».
Ceci confirme la tendance observée dans l’aménagement urbanistique des quartiers de gares centrales des métropoles (Lille, Marseille, Bordeaux…) visant à concentrer dans celles-ci le potentiel économique qui accompagne (accompagnera) l’arrivée du TGV sur les LGV.
Nous avions évoqué, dans un article du blog de LGVEA, cette tendance forte dans les gènes du projet Euratlantique pour Bordeaux et sa gare centrale, la gare Saint Jean.
On retrouve aussi quelques échos de l’étude de l’attractivité des villes françaises évoquée par l’Université Paris Dauphine (voir plus haut) sous la plume des chercheurs rémois qui écrivent : « Ainsi, une desserte TGV peut, dans certains cas, être associée à un certain dynamisme des villes, mais c’est loin d’être systématique. En outre, certaines villes non desservies sont particulièrement dynamiques ».
Ils n’excluent pas par ailleurs un renforcement du processus de métropolisation en Champagne-Ardenne conjointement à l’implantation de la LGV.
On notera aussi leur analyse comparative entre la gare centrale de Reims et celle ex urbanisée de Bezannes (environ 6 km sud-ouest du centre de Reims) qui tend à prouver que cette dernière n’offrira pas le service attendu aux usagers voulant se rendre en région parisienne : « Si aller prendre le TGV à Bezannes peut-être envisagé pour rejoindre des territoires desservis par le réseau à grande vitesse, en revanche, aller à Paris Gare de l’Est à partir de Bezannes ne présente guère d’intérêt pour les sparnaciens en raison, d’une part, d’une diminution du temps de parcours faible (par rapport au fait de prendre un TER classique à Epernay pour Paris) et, d’autre part, du coût du billet plus important ».
Relevons tout de suite que si cette gare ex urbanisée de Bezannes peut présenter quelques avantages pour le transit vers l’international (malgré les difficultés d’accès aux agglomérations voisines), elle se situe toutefois dans un environnement démographique beaucoup plus favorable (proximité de centres urbains comme Epernay ;;;) que des gares « à la campagne » que RFF envisage dans le GPSO (Mont de Marsan ou encore Captieux !).
Prenons maintenant quelques instants pour profiter de l’expérience d’implantation des gares sur l’axe TGV/LGV Paris-Marseille.
Valérie Facchinetti-Mannone, maître de conférences en géographie à l’Université de Bourgogne s’est penchée plus précisément sur les liens possibles entre développement économique et gares périphériques (ex urbanisées) dans la région Bourgogne.
Figure 5 Implantation territoriale des gares TGV nouvelles en Bourgogne. Source http://rge.revues.org/image.php?source=docannexe/image/1221/img-1-small640.png&titlepos=up
On peut situer sur la carte reproduite en Fig.5 les principales agglomérations concernées et l’implantation des gares nouvelles (ex-urbanisées) sur le territoire étudié.
A la lecture du texte de cette étudeiv parue en 2006 on peut mesurer l’écart qui existe entre un idéal politique porté par certains élus locaux pour promouvoir leurs agglomérationsv, petites ou moyennes, au rang de « métropole » régionale, et la réalité économique qui incite le milieu technocratique et économique à miser sur l’effet « trou noir » des métropoles existantes et en expansionvi.
Valérie Facchinetti-Mannone souligne par exemple que ces nouvelles gares ex urbanisées souffrent d’une mauvaise intégration au réseau de transport local s’appuyant le plus souvent sur le réseau routier qu’il a fallu réaménager fortement (coût d’investissement pour la collectivité !) sans pour cela qu’à terme elles captent les milliers d’usagers attendus.
La mise en place de moyens de déplacements supplémentaires (navettes) ne semble pas avoir permis de valoriser ces gares « ex nihilo » puisque on relève par exemple dans le cas de Mâcon ou Villefranche-sur-Saône (35 000 habitants environ) : « À Mâcon les navettes mises en service entre la gare TGV et le centre ville disparurent dès la première année faute d’une fréquentation suffisante. La SNCF mit également en place des rabattements par autocar au départ de Villefranche-sur-Saône, Cluny et Cormatin. Mais seule la première liaison qui dessert plusieurs villes importantes est encore exploitée ».
Plus loin nous apprenons aussi que les projets d’aménagements autour des nouvelles gares TGV n’ont pas débouché sur la manne de développement escomptée : « Au début des années 80, l’idée communément admise était que les nouvelles gares TGV allaient générer, à leurs alentours, l’essor de nouvelles activités. Toutefois, à Montchanin comme à Mâcon-Loché, les premières opérations d’aménagement restèrent modestes et sans effet ». Même après des renforcements notoires d’aménagements de zones commerciales ou industrielles (coût ?) l’auteure conclut que « ces projets n’ont eu que des retombées minimes » et que « le bilan que l’on peut dresse aujourd’hui de ces projets d’aménagement est amer ».
Les exemples abondent tout au long de l’article de Valérie Facchinetti-Mannone pour constater une piètre rentabilité des équipements et investissements dans les infrastructures d’accueil (zones artisanales et industrielles, bureaux, pôles tertiaires…) qui ont accompagné l’implantation des gares ex urbanisées bourguignonnes.
Elle complète son analyse en montrant le handicap qui colle aux gares ex urbanisées (ou proches d’agglomérations petites ou moyennes) face aux zones aménagées au plus près des gares centrales des métropoles régionales : « À l’échelle nationale, l’extension progressive du réseau TGV leur a fait perdre la rente de situation dont elles jouissaient [les entreprises installées préalablement dans la Communauté urbaine du Creusot-NDLR] au début des années 80 et ces zones d’activités font pâle figure à coté des pôles d’activités qui se sont développés autour des gares centrales ou des projets en cours de réalisation en périphérie de villes plus importantes ».
Enfin nous retiendrons de cette étude un point fondamental qui pourra trouver application dans l’analyse des aménagements ferroviaires inscrits dans le GPSO quand l’auteure écrit à propos des villes petites-moyennes inscrites autour des gares ex urbanisées: « Les lignes à grande vitesse renforcent les polarisations spatiales existantes ou latentes, leur fonction étant de répondre à des besoins de déplacement inscrits dans des dynamiques spatiales polarisatrices » et « La création de gares ex-urbanisées en périphérie des petites villes apparaît donc, pour reprendre les termes d’E. Auphan, comme une opération de « contre-aménagement du territoire », peu susceptible d’induire de nouvelles dynamiques territoriales ».
L’exemple bourguignon devrait donc donner à réfléchir à tous nos élus locaux et régionaux quant au mythe d’un système TGV/LGV qui amènerait richesses et développement à nos bourgades girondines ou landaises !
A écouter promoteurs du GPSO on pourrait être séduit par l’idée futuriste et moderniste d’une garevii, baptisée pompeusement du qualificatif SRGV (service régional à grande vitesse), censée servir de catalyseur à un pôle de développement sur le territoire de Captieux.
Carte de la zone de Captieux ==> http://sd-2.archive-host.com/membres/images/8889538985686605/Triangle_Captieux.jpg
Cela semble toutefois bien irréaliste au regard des capacités intrinsèques de développement économique de cette bourgade de 1500 habitants que l’on voudrait mettre en concurrence avec les métropoles gloutonnes comme Bordeaux ou Toulouse.
On peut craindre plutôt pour cette commune, et sa zone périphériqueviii (Escaudes, Bernos-Beaulac), d’être à nouveau offertes aux bulldozersix pour réaliser un complexe ferroviaire triangulaire (le fameux triangle de Bernos-Beaulac) pour les lignes à grande vitesse qui relieront Bordeaux à Toulouse et Bayonne d’une part et Toulouse à Bayonne d’autre part.
On ne peut s’empêcher de penser que les habitants de ces communes ne verront pas leur développement économique activé par le GPSO et la gare SRGV car il est fort probable que leurs territoires serviront de décor pour l’élite circulatoire qui empruntera le TGV pour Paris- Madrid ou Paris-Toulouse.
Au final que devons nous retenir des exemples et expériences transcrits ici.
Tout d’abord que la dynamique économique et d’aménagement du territoire qui sous-tend le système TGV/LGV, depuis son invention il y a maintenant une trentaine d’années, s’applique d’abord et préférentiellement aux centres urbains nationaux et internationaux ayant qualité de « métropoles ».
C’est ainsi que, reprenant le modèle de l’Etoile de Legrand sur le territoire français, et l’appliquant souvent sur les territoires européens, la technostructure liée aux divers pouvoirs politiques a privilégié un système d’infrastructure ferroviaire à grande vitesse renforçant l’attractivité intrinsèque des grandes métropoles (Paris, Marseille, Lyon, Lille, bientôt Bordeaux ou Toulouse). On ne peut reprocher aux ingénieurs et technocrates leur approche scientifique et économique en la matière : le TGV est naturellement prévu pour relier des grands centres urbains, à grande vitesse, avec peu (ou pas) d’arrêts dans des villes intermédiaires, sur des segments porteurs rectilignes (les LGV).
Les « variantes » observées dans les différents projets réalisés (TGV Sud-Est, TGV Nord, TGV Est…) procèdent toutes d’interférences politico-économiques contradictoires avec les principes évoqués ci-dessus.
C’est par les lobbies conjugués des élus politiques locaux d’une part, qui veulent renforcer leur audience auprès d’une minorité agissante ou suiviste, et des grandes entreprises du BTP d’autre part, qui y voient une source de chiffre d’affaire et de gains appréciables, que ces « variantes » prennent corps.
Ne voit-on pas se dessiner à nouveau de tels égarements sur les nouveaux projets de LGV le long desquels fleurissent des gares ex urbanisées (exemple Agen, Mont de Marsan, Captieux pour le GPSO) ?
Les surcoûts directs ou indirects de tels choix (coût des gares ex urbanisées, des liaisons routiers et/ou ferroviaires avec les agglomérations existantes à proximité…) viendront certainement alourdir la facture initiale de tels projets. Il n’est pas sûr que les retombées économiques et sociales, pour les centres urbains satellites de petite ou moyenne importance, soient à la hauteur de tels investissements et fassent contre poids aux dégâts sociétaux et environnementaux qui accompagnent la mise en place des réseaux LGV sur nos territoires.
Il y a peu de chance que Mont de Marsan, Captieux… tirent leur épingle du jeu dans la compétition engagée entre les grandes métropoles françaises, et plus particulièrement aquitaines, dans le cadre du GPSO. Les projets urbanistiques associés (Euratlantique demain à Bordeaux, EuraLille hier à Lille, Euroméditerranée aujourd’hui à Marseille) donnent bien le tempo d’un aménagement (déménagement ?) du territoire voué à favoriser la métropolisation en marche depuis un demi siècle.
Après le « big-bang ferroviaire » de la fin XIX et début XXème (voir la carte du réseau ferroviaire français d’entre deux guerres présentée plus haut. Fig.1) qui semblait vouloir irriguer l’ensemble du territoire national, on assiste à un retournement aux principes jacobins d’un aménagement ferroviaire pour les grands centres urbains, phénomène qui va s’accélérer dès les années 80 par l’apparition du TGV, « Concorde sur rail », pour lequel se bâtit le réseau LGV et qui assèche parallèlement les infrastructures ferroviaires classiques censées desservir tous les citoyens français sur tout le territoire (voir carte du réseau ferroviaire actuel Fig. 2).
Le mouvement est d’ampleur et les impératifs techniques et économiques associés incitent à penser que son inertie importante va contrarier encore longtemps un possible retour à un réseau diversifié et ramifié sur l’ensemble de la France.
Dans ce combat entre métropoles et petites agglomérations l’ersatz des gares ex urbanisées, réclamées à hauts cris par des élus locaux, semble être un leurre destiné à survaloriser de tels aménagements dans un développement local, certes souhaitable et indispensable pour ralentir un exode vers les grands centres urbains, mais bien hypothétique au regard des expériences passées en la matière.
Les décisions en matière d’aménagement du territoire, comme celles des grandes infrastructures de transport ferroviaires, ne doivent pas être laissées aux seules exigences de la technostructure. Les élus, faisant œuvre de clairvoyance et agissant pour le bien de leurs mandants, devraient influer fortement pour des choix favorisant les déplacements du plus grand nombre, au moindre coût, sur l’ensemble du territoire.
Difficile exercice pour résoudre cette équation mais indispensable si l’on ne veut pas reproduire les erreurs du passé…
Pour LGVEA Jean-Robert Thomas 8/09/2011
i L’attractivité résidentielle des agglomérations françaises ; Hervé Alexandre, François Cusin, Claire Juillard – Chaire Ville et Immobilier, Université Paris-Dauphine, juillet 2010.
ii Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification scientifique ; Jean Marc Offner, Laboratoire Techniques-Territoires-Sociétés (Ecole Nationale des Ponts et chaussées, Université Paris XII, CNRS), L’espace géographique n° 3, p.233-242
iii Analyse prospective des impacts de la Ligne à Grande Vitesse Est-européenne dans l’agglomération rémoise et en région Champagne-Ardenne, rapport final de recherche pour le Conseil Champagne-Ardenne ; Sylvie Bazin, Christophe Beckerich, Marie Delaplace, Université de Reims Champagne-Ardenne, février 2006
iv Voir Revue Géographique de l’Est, vol.46/1-2/2006/ La Bourgogne : dynamiques spatiales et environnement – gares ex urbanisées et développement urbain : Le cas des gares TGV bourguignonnes. Valérie Facchinetti-Mannone.
v Captieux (33840) possède moins de 1500 habitants. Mont de Marsan (40000) possède moins de 30 000 habitants et Agen (47000) environ 31 000.
vi Population comptabilisée par l’INSEE. Bordeaux = 236000 en 2008. Toulouse = 440 000 en 2008.
vii Rappelons que cette gare sera située à l’est de Captieux, à environ 25 km, et qu’il faudra donc avoir recours systématiquement aux véhicules routiers pour y accéder (bilan environnemental ?).
viii Précisons que ces communes sont situées dans le Parc régional des Landes de Gascogne dont le projet de Charte en cours de révision rappelle l’importance de cet ensemble naturel exceptionnel et de sa forêt : « Le projet politique, ainsi construit et traduit, affiche dans l’avant-projet de charte une ambition partagée, celle de conserver l’identité forestière des Landes de Gascogne ».
ix N’oublions pas que Captieux a vu récemment son territoire soumis à la saignée d’une autoroute A65.
Image-Source RFF