Escaudes, lieu de résistance aux GPII en Sud-Gironde
Le temps frais observé dans nos landes en ce début décembre ne pouvait cacher la chaleur et l’intensité des débats qui ont entouré la rencontre organisée par la Coordination Vigilance LGV en Sud-Gironde[A] à l’occasion de la troisième édition des journées contre les Grands Projets Inutiles Imposés (GPII).
C’est dans la salle des fêtes de la commune d’Escaudes (33840), aimablement prêtée par la municipalité, qu’avait lieu cette année le rassemblement des citoyens refusant ces Grands Projets Inutiles Imposés.
On rappelle que, comme les années précédentes, la Coordination Vigilance LGV en Sud-Gironde, est un vecteur actif des manifestations contre les GPII auxquelles LGVEA a participé ces dernières années[B].
Nous étions donc quelques membres de LGVEA présents à Escaudes témoins de son action pour la défense de l’environnement et sa lutte contre les GPII.
Notre stand largement agrémenté d’images présentait divers documents sur le dossier LGV et a accueilli les participants de cette journée pour échanger, informer et débattre.
Les débats étaient d’ailleurs facilités et encouragés grâce aux présentations audiovisuelles commentées par des responsables associatifs.
D’entrée on explicita la notion de Grands Projets Inutiles Imposés qui regroupent pêle-mêle une attaque de notre environnement, un assèchement des finances publiques, un mépris de la démocratie, un parti pris sociétal… dans le lancement des grandes infrastructures de transports. La liste des GPII n’est pas close mais on y trouve entre autres: les LGV ferroviaires (Lyon-Turin, GPSO[C]…), les autoroutes (A65…), les aéroports (Notre Dame des Landes…), etc.
L’autoroute A65, dernière autoroute aquitaine concédée malgré les recommandations issues du Grenelle de l’Environnement, fut l’objet d’une critique magistrale de la part de Philippe Barbedienne, directeur de la SEPANSO. Il démontra l’inutilité flagrante de cette autoroute qui ne réussit pas aujourd’hui encore à assurer sa rentabilité avec moins de 6000 véhicules/jour alors qu’Aliénor, société concessionnaire, visait, dans son plan d’exploitation initial au-delà de 7660 véhicules/jour, chiffre déjà en deçà des 15 000 véhicules/jour qui avaient été évoqués pour justifier une telle infrastructure (cf. dossier SEPANSO-ARLP de 2008 http://www.sepanso.org/dossiers/a65/Dossier_A65_ARLP-SEPANSO.pdf ).
Plus tard, dans le contexte tendu qui caractérise les affrontements autour du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, on put toucher du doigt l’incongruité d’un projet d’aéroport international français au nord de Nantes en visionnant un film documentaire sur la construction de l’aéroport international de Mirabel prés de Montréal (Canada) dans les années 70 (Le fantôme de Mirabel). On y découvre que cet aéroport, objet totémique de la course effrénée au gigantisme et à la vitesse dans le domaine du transport aérien, âprement défendu par les dirigeants et technocrates canadiens du pouvoir fédéral à cette époque[D], fut finalement fermé au trafic passager moins de 30 ans après son inauguration. Un gâchis économique et environnemental (prés de 40 000 hectares de terres avaient été l’objet d’expropriation), doublé d’un déni de démocratie de la part du gouvernement de Toronto ! En 2004 le « rêve technologique » était évanoui et les employés du site de Mirabel devaient se résoudre à rejoindre l’ancien aéroport de Dorval qui venait d’être désigné comme aéroport principal de l’ouest canadien pour le transport aérien de passagers.
Cela me fait souvenir que souvent l’histoire bégaie et nous devons avoir à l’esprit cette désastreuse expérience de Mirabel quand on examine les projets d’aéroport actuels.
Nos voisins espagnols auraient dû y songer quand ils ont bâti en 2008 un immense aéroport à Ciudad Réal qui depuis ne voit aucun vol commercial sur ses pistes de 4200m. Franscisco Peregil, journaliste à El Païs, a rapporté les propos d’un collègue journaliste de Ciudad Réal : «Très peu nombreux furent ceux qui s'opposèrent au projet. "C'était très mal vu de le critiquer, m'a expliqué Carlos Otto, un journaliste de Ciudad Real. C'était comme aller à l'encontre des intérêts du peuple. Seuls les écologistes l'ont fait. Et certains d'entre eux ont reçu des pressions et ont cessé d'apparaître dans la presse ».
A méditer…
Plusieurs invités présents à Escaudes réagissent à la fin de la projection du documentaire sur Mirabel car la France est confrontée aujourd’hui à la même problématique au sujet du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.
Faut-il construire un nouvel aéroport international prés de Nantes alors qu’existent déjà deux aéroports proches dont celui de Nantes Atlantique?
On peut en douter quand on écoute par exemple les opposants au projet lors du 2ème Forum Européen contre les Projets Inutiles et Imposés. Comme pour Mirabel, Notre Dame des Landes ne semble pas devoir recevoir le qualificatif « d’utilité publique » et devrait amener l’artificialisation de milliers d’hectares de terres arables et de zones humides.
Celle-ci évoque pour moi une contradiction profonde entre l’acharnement, enraciné depuis des décennies[E], de l’Etat, suivi depuis par, à droite comme à gauche, des élus de Loire Atlantique et de Bretagne, emmenés depuis par le Premier Ministre actuel Jean-Marc Ayrault, avec les propos[F] du Président François Hollande lors de la Conférence Environnementale de septembre dernier : « Préserver la biodiversité, c’est limiter l’artificialisation des sols ». Cette priorité donnée par le président s’appuie, entre autres, sur les données d’une étude du Commissariat Général au Développement Durable qui soulignait que « 88 % des espaces artificialisés le sont au détriment des espaces agricoles et 12 % aux dépens des espaces naturels ».
Revenons à Escaudes où on nous apprend que des collectifs contre Notre Dame des Landes se sont créés un peu partout en France à l’initiative d’associations. Pour le Sud-Gironde le collectif (cf. adresse mail zad.sudgironde@riseup.net ) appelle mercredi 12 décembre à manifester sur la place de la mairie de Langon dés 18 heures.
Vient alors l’heure pour Denise Cassou, porte parole de la Coordination Vigilance LGV Sud-Gironde, d’évoquer le GPII que constitue le GPSO.
Ce projet de plus en plus contesté est-il finalement menacé ?
D. Cassou dresse un argumentaire très documenté et énumère bien des sources qui valident un rapport certain entre les deux termes de l’interrogation[G].
Les références abondent dans sa présentation qui attestent que nos finances publiques (celles de l’Etat, de RFF, de SNCF, des collectivités territoriales…) auront bien du mal à combler les folies technologiques des LGV : le rapport Mariton de 2011, les conclusions des Assises du Ferroviaire de fin 2011 où Nathalie Kosciusko-Morizet prenait à son compte l’idée de donner la priorité à l’entretien et à la rénovation du réseau classique « Cela veut dire poursuivre l’effort sans précédent de rénovation, pour placer les trains du quotidien au cœur de la politique de qualité de service. C’est une orientation qui aura forcément des conséquences sur le développement des lignes à grande vitesse (LGV). Au-delà des quatre lignes en cours de travaux ou de passation de contrat, je dis bien au delà, j’approuve l’idée d’une évaluation externe et indépendante des grands projets qui figurent au schéma national et d’infrastructures de transports (SNIT) », le rapport de la Cour des Comptes qui rappelle que « Pour être lancés, ces investissements doivent d’abord être rentables dans une acception large, dite socio-économique, englobant toutes leurs retombées et tous leurs coûts, y compris ceux qui ne sont pas monétaires comme les effets sur l’environnement, pour l’ensemble des agents économiques.», l’annonce de Jérôme Cahuzac qui dit que « …le Gouvernement n’aura pas d’autre choix que de renoncer à certaines options qui ont été privilégiées. On peut se demander si prolonger telle ou telle ligne TGV pour un gain de temps marginal est préférable à l’entretien du réseau secondaire » etc.…
D. Cassou n’évacue pas toutefois que le spectre du GPSO reste toujours menaçant en s’appuyant sur la pression constante exercée par les thuriféraires des LGV. Ceux-ci, sous la houlette des présidents des Conseils régionaux d’Aquitaine et Midi-Pyrénées, se retrouvent chez les institutionnels (CCI, CG…) et reçoivent un appui sans faille de la part d’associations où se côtoient élus et représentants d’entreprises du BTP.
Alain Rousset et Martin Malvy ne ménagent pas leurs efforts et multiplient leurs interventions dans les allées du pouvoir pour qu’il valide très rapidement les choix d’infrastructures de transport ferroviaire en faveur du GPSO.
Au final ce constat en demi-teinte nous impose donc une mobilisation et une vigilance sans faille.
La salle est sous le choc, décontenancée devant tant de dangers potentiels pour l’environnement de dizaines de milliers d’Aquitains et l’adoration schizophrène de nos grands élus pour une « modernité » d’un autre âge.
La question fuse : « Que font nos élus locaux, que pouvons nous faire pour refuser ce que l’on nous annonce comme inéluctable ? ».
Elle illumine le trouble ressenti par plusieurs d’entre nous face à l’absence remarquée des élus locaux invités à cette journée des GPII : C. Tamarelle (maire), B. Fath (maire et conseiller général) et G. Savary (député) se sont excusés ; P.Carreyre (maire et conseiller général) a fait un passage éclair ; seuls C. Mansencal (maire d’Escaudes), J.P Pelletan (maire de Landiras) et P. Courbe (maire de Bernos-Beaulac) auront suivi les débats de ce soir.
Elle surplombe nos débats quand s’ouvre une brève polémique entre un sympathisant du Front de Gauche (FG) et celui du NPA. Le premier se défend d’un défaut du FG dans le combat contre le GPSO tout en avouant qu’il peut exister des débats dissonants sur ce dossier au sein des élus de cette formation politique. Le second y voit un FG en retrait dans les institutions lui reprochant entre autres de ne pas voter contre les budgets publics qui abondent le financement des études et de réalisation du GPSO.
Je pense que toutefois ces atermoiements[H] ne sont pas uniques dans la saga du GPSO ouverte dés 2005. Ils confortent notre sentiment quant à l’impérieuse nécessité d’avoir une action éducative et réflective auprès de tous nos élus pour enrichir le débat et obtenir des positionnements clairs de leur part.
Enfin elle est au centre des réflexions de tous les associatifs présents sans qu’une solution unique et fédératrice jaillisse hic et nunc.
Pour ma part, et après prés de sept années passées à étudier GPSO, la réponse ne peut venir que d’une résistance individuelle, et une affirmation d’une volonté de démocratie participative, qui doit s’amalgamer et se cristalliser au sein des associations.
C’est, il me semble, par la voie d’une lutte unifiée et ferme que réside le levier qui pourra faire basculer l’opinion populaire et, par répercussion, celle de nos élus locaux et territoriaux seule à même d’emporter une décision conforme à la raison environnementale et sociétale.
La journée se finira autour d’un repas concocté par des membres associatifs et apprécié de tous. Elle aura certainement un prolongement dans l’esprit et l’action des participants au cours des mois à venir comme le souligne Frédérique Gallitre dans Sud-Ouest en concluant : « Tous s'accordant pour dire que mobilisation et vigilance étaient plus que jamais indispensables ».
Notons enfin qu’en cette journée du 8 décembre c’est un peu partout en France, et jusqu’en Allemagne, en Italie ou en Espagne, que des citoyens se sont réunis pour refuser les GPII.
On peut mesurer le travail qui reste à faire pour contrer des tels projets en consultant une carte des GPII mise en ligne par Médiapart et différents articles comme celui publié par le magazine Europa.
Pour LGVEA
Jean-Robert Thomas 14 décembre 2012
[A] Cette Coordination regroupe différentes associations de la Gironde (LEA, LGPE, LGVEA, SEVE, SEPANSO…) qui luttent plus particulièrement contre les LGV du GPSO, et de manière plus large, contre les GPII et pour la défense de l’environnement. La Coordination peut être contactée sur le site de l’association Landes Environnement Attitude (LEA). De nombreuses informations, des documents, des appels à action…concernant cette défense de l’environnement sont accessibles sur les sites des membres de cette coordination : LEA, mais aussi Landes Graves Palus Environnement (LGPE), Landes Graves Viticulture Environnement en Arruan (LGVEA) ou SEPANSO.
[B] On pourra se reporter aux articles du blog LGVEA : http://lgvea.over-blog.com/article-lgvea-manifeste-a-langon-63150889.html ou http://lgvea.over-blog.com/article-debattre-sur-la-lgv-journee-sur-les-grands-projets-inutiles-90291865.html , aux articles de presse comme http://www.aqui.fr/common/article-print.php?id_article=5798 ou http://www.sudouest.fr/2011/12/11/mobilisation-en-sud-gironde-contre-la-lgv-577791-706.php et aux liens divers comme http://lgv.limogespoitiers.info/oui-optimisation-des-lignes-existantes/51-non-lobby-lgv-resistances/1701-lgv--la-resistance-samplifie-en-sud-gironde.html .
[C] GPSO : Grand Projet du Sud-Ouest regroupant les LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne.
[D] On trouvera l’allégorie de cet « aéroport de l’an 2000 » dans le discours de Pierre Elliot Trudeau (cf. http://archives.radio-canada.ca/economie_affaires/transports/clips/9392 ).
[E] L’idée et l’étude du nouvel aéroport de Notre Dame des Landes datent de 50 ans (cf. http://pays-de-la-loire.france3.fr/2012/12/06/laeroport-de-notre-dame-des-landes-un-projet-vieux-de-50-ans-159599.html )
[F] C’est ce que l’on lit sous la plume de Titus Holliday, sous le titre « Une France de plus en plus artificielle » dans l’édition de Janvier 2013 de Sciences Humaines (n°244, page 17)
[G] Citant les propos de Guillaume Pépy, PDG SNCF, « Il vaut mieux une ligne à grande vitesse en moins et avoir un bon renouvellement du réseau existant » et Hubert Du Mesnil (PDG RFF) « En France, on aime beaucoup les grands projets. Les projets que nous préférons, c’est la modernisation du réseau », elle complète l’argumentaire de la contestation par un article des Echos du 7 novembre 2012 relatant la fronde contre la gare LGV excentrée de Reims et l’analyse de Julien Milanési sur le pari perdu des grandes infrastructures de transport.
[H] Deux exemples récents viennent soutenir mon sentiment quant au louvoiement (mais n’est-ce pas là une attitude qui colle aux politiques depuis des siècles… ?) de certains élus lors de prises de positions sur le dossier GPSO. Le premier vient de la réunion plénière du Conseil Régional d’Aquitaine en date du 22 octobre 2012. Le président Rousset, reprenant une initiative de son opposition de droite (il est très fort… !), proposait d’adopter une motion afin de favoriser le GPSO auprès de la Commission SNIT (cf. sujet n° 25 de la séance visible ici http://www.synople.tv/aquitaine/2012/vod_121022.html ). Cette motion fut votée à la majorité avec une non participation au vote du FG et un vote contre de la part du groupe EELV. Le deuxième vient du vote en Commission Permanente du Conseil régional d’Aquitaine, le 8 octobre dernier, du financement des études complémentaires et des acquisitions foncières anticipées dans le cadre du GPSO. Il fut adopté à la majorité des élus, seuls les élus EELV ayant voté contre (cf. relevé de décision 2012-1667 –D02-06 http://aquitaine.fr/IMG/pdf/RELEVE_DE_DECISIONS_CP_08_10_2012.pdf ).
Enfin rappelons qu’en Commission Permanente du 9 juillet 2012 le Conseil régional d’Aquitaine adopta à la majorité (moins le vote contre EELV) la proposition 2012-1278 D02-02 visant à soutenir la LGV Tours-Bordeaux dans le dossier de Fonds de solidarité territoriale (cf. http://aquitaine.fr/IMG/pdf/Releve_de_decisions_legalise_CP_09_07_2012.pdf et http://aquitaine.fr/actualites/un-budget-supplementaire-de-14-millions-d-euros.html ).
Reconnaissons que le trouble s’installe dans notre esprit quand on sait par ailleurs l’opposition franche des élus FG au GPSO dans l’enceinte du Conseil Général (cf. http://www.archive-host.com/link/3e0fad12062372cdaba2e917416be7c7e98fd647.doc ) ou à l’occasion des législatives de 2012 (cf. http://www.pierreaugey.fr/2012/06/04/lgv-lettre-ouverte-aux-candidats ). De manière plus générale on se rappellera que Gérard Boulanger (http://www.gerardboulanger.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=79:uranium&catid=29:argucategorie&Itemid=50 ) disait en 2011 à propos de la défense de l’environnement qu’il fallait laisser à nos enfants une planète qui puisse encore être capable d’être vécue et qu’il souhaitait une vraie alternative écologique et un changement de modèle. Tout récemment le Parti de Gauche de la Haute-Vienne refusait lui aussi les GPII. Dont acte.