Une fois de plus la Fédération Nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) fait preuve d’un suivisme et d’un aveuglement consternant.
Son président, Bruno Gazeau, et son vice-président, Jean Sivardière, font l’apologie d’une infrastructure à grande vitesse, la LGV Lyon-Turin, qui mérite bien pourtant d’être au palmarès des Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII).
C’est dans l’Humanité[1] qu’ils tentent une nouvelle fois de justifier un projet démesuré, relevant plus d’un entêtement entretenu depuis des années dans les couloirs du pouvoir par des lobbies obscurs mais puissants.
[1] L’Humanité, édition des 22,23 et 24 janvier 2016.
Au trafic potentiel insuffisant et au coût pharaonique du projet Lyon-Turin, et notamment de son tunnel de 50 km sous les Alpes, la FNAUT rétorque comme souvent dans ces dossiers d’infrastructures ferroviaires à grande vitesse, par des comparatifs internationaux qui ne font pas raison.
Vouloir justifier le Lyon-Turin par un report massif et automatique du trafic routier proche, ou plus lointain, relève à notre avis d’une croyance plus que d’une analyse rationnelle.
Ainsi comment croire la FNAUT quand elle dit que la distance pour un camion entre Barcelone-Vintimille-Milan est la même en passant par Lyon : n’importe quel logiciel[1] de calcul routier dément ce fait ! C’est au minimum 100 km et une heure de plus.
On ne s’appesantira pas sur les coûts, notamment de péages, qui conditionnent pour beaucoup le choix d’itinéraire des routiers car la comparaison économique route/rail que l’on devrait faire avec la LGV Lyon-Turin reste à mener.
Or les tarifs de péages et de transport d’un ensemble routier (remorque ou remorque+tracteur) sur rail sont loin aujourd’hui d’être connus pour un Lyon-Turin dont on ne connaît pas la date de mise en service.
Si l’on se réfère à quelques études sur ce point économique majeur on peut lire ce qu’écrivait dès 2010 l’iFRAP (Fondation iFRAP) sur les autoroutes ferroviaires (autoroutes Alpine et Perpignan-Bettembourg) :
« Elles ne rencontrent pas encore le succès escompté au plan de la fréquentation et des résultats financiers. Ces deux autoroutes ont transporté environ 50.000 camions en 2010 soit 10% de l'objectif final fixé à 500.000 en 2020. Même en augmentant la fréquence et la capacité des trains on aura du mal à atteindre 100.000 camions par an et par autoroute ferroviaire ».
Avec des tarifs de passage indicatifs respectivement de 290 euros (1,65 €/km) et 650 euros (0,62€/km) ces deux autoroutes ferroviaires, l’iFRAP n’imagine pas une amélioration des résultats pour Perpignan-Bettembourg :
« Il n'y a aucune raison de penser que face à la concurrence de la route sur un marché qui risque de se réduire avec la crise, les résultats s'améliorent rapidement ».
De même la Fondation est très critique pour l’autoroute ferroviaire Alpine (SNCF&Trenitalia) qui n’assure que 40% de ces revenus par les recettes d’exploitation et bénéficie d’importantes subventions d’équilibre par les états français et italiens.
La Cour des Comptes s’est penchée en 2012 sur le dossier des autoroutes ferroviaires.
En ce qui concerne l’autoroute ferroviaire Alpine elle parle « d’une expérimentation peu concluante » et « d’une exploitation durablement déficitaire ».
Son avis sur l’autoroute ferroviaire Perpignan-Bettembourg n’est pas plus positif. Elle évoque « une démonstration inachevée » et « une exploitation jusqu’à présent déficitaire » pour une infrastructure mise en service en 2007 et qui bénéficie des concours financiers publics, directs et indirects.
La Cour des Comptes n’oublie pas de rappeler que ces expériences s’inscrivent dans un plan global de report modal route/rail qui est loin d’atteindre ces objectifs ambitieux (trop ambitieux ?).
La loi du Grenelle de l’environnement fixe un objectif de report modal terrestre de 14à25% d’ici 2022 avec une étape intermédiaire à 17,5% en 2012 mais la Cour des Comptes relève :
« En juillet 2010, un recalage statistique abaissait le point de départ à 12,6 % et le conseil général de l’environnement et du développement durable estimait que 16 % en 2020 serait déjà « un beau succès ».
Elle invite la puissance publique à « rééquilibrer la compétitivité entre la route et le rail pour le transport ferroviaire de marchandises » mais la baisse du prix des carburants et le delta entre le coût au km entre route et rail ne semblent pas favoriser un tel rééquilibrage avant longtemps.
Si l’on peut comprendre certains avantages techniques du Lyon-Turin sur l’infrastructure actuelle (problème de pente en particulier) on ne peut évacuer d’un revers de main le coût prohibitif de cette liaison ferroviaire sensée cumuler trains de voyageurs à très grande vitesse et trains de fret avec système Modalohr.
Rappelons que ce système Modalohr repose sur des wagons spéciaux chers et capables d’emporter des remorques routières alors que la logique de transport de fret voudrait que l’on recoure aux conteneurs européens normalisés.
Sur le coût du projet la société Lyon Turin Ferroviaire reconnaît elle-même que les travaux de réalisation du tunnel de 57 km représentent 8,5 milliards d’euros mais que la ligne complète Lyon-Turin atteindra 24 milliards d’euros (CE 2010).
Selon le député Dominique Dord, s’appuyant sur le rapport de la Cour des Comptes de 2012, ce projet ne constitue pas un projet viable sur le plan économique, social…, peut être inutile, qui pourrait coûter au final plus de 30 milliards d’euros.
La Cour des Comptes alertait donc déjà en 2012 prévoyant une réévaluation du coût à 26 milliards d’euros (CE2012).
Devant cette inquiétude certains tentent de louvoyer dans les propositions de plans de financement étatiques et européens mettant en œuvre des dispositifs tels qu’une Eurovignette sur plus de 60 ans pour la seule section transfrontalière (tunnel de 57 km): pour ceux qui auraient oublié le sort réservé à l’écotaxe poids lourds, et son abandon pour près d’un milliard d’euros, on recommande la réflexion nécessaire à l’instauration d’une Eurovignette pour le financement d’un projet de tunnel qui s’apparente à une obsession technocratique.
La FNAUT, pour sa part, recommande un abondement au financement du tunnel par une surtaxe sur le gazole automobile, mesure très peu appréciée des automobilistes et transporteurs routiers, et peut être à contre courant d’une politique globale environnementale et sanitaire visant à limiter l’utilisation du gazole dans le transport. Où se trouve la cohérence dans ces annonces ?
La FNAUT est elle aussi dans une attitude de croyance, et peu dans une approche rationnelle, quand elle imagine un transfert massif de la route vers le rail avec le Lyon-Turin. L’arc transalpin nord Europe-Italie (la « banane bleue ») reste l’axe prépondérant pour les transports transnationaux de fret même si l’Europe a marqué sa volonté d’aller vers un axe prioritaire ferroviaire Lyon-Budapest (RTE-Tn°6).
[1] On peut consulter par exemple http://ladistance.fr/Barcelone/Milan . Un trajet alternatif par le col du Montgenèvre montre un temps de parcours plus long (~2h) pour une distance approchante au trajet Barcelone-Vintimille-Milan (cf. http://www.viamichelin.fr/ ). Par le Mont Blanc on trouve 1080 km équivalent au passage par Lyon.
Figure 2 La banane bleue - By Florian P. Floflo https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9galopole_europ%C3%A9enne#/media/File:Carte_Europe_rh%C3%A9nane_5_nomenclature.PNG
Dès 2007 Rémy Prud’homme, professeur d’économie de l’Université Paris XII, titrait « L’erreur du TGV Lyon-Turin » dans un article paru dans L’Ecologiste n°23 (Vol 8 n°3 –Juillet-Septembre 2007).
Il y a près de 10 ans déjà son analyse socio-économique sur ce projet, estimé alors à 16 milliards d’euros, était glaciale :
« Même si l’investissement était gratuit (hypothèse absurde), son exploitation ne serait pas économiquement justifiée ».
Il concluait d’ailleurs son article comme ceci :
« Le bilan apparaît désastreux. Une valeur actualisée nette de – 19 milliards d’euros est par définition un gaspillage de 19 milliards d’euros. Non seulement, le projet implique une augmentation immédiate de la dette des gouvernements français et italiens d’au moins 16 milliards d’euros, mais il creusera chaque année pendant 40 ans le déficit de ces mêmes gouvernements, sans apporter pour autant une utilité économique nette ».
Comment faire croire, après la survenue de la crise économique et financière mondiale de 2007-2008, et le montant des dettes étatiques de la France et de l’Italie de 2014 (respectivement 95,3% et 131% du PIB), que Rémy Prud’homme puisse s’être trompé dans son verdict de 2007 ?
Ì
La FNAUT ferait bien de prendre des nouvelles lunettes pour parler d’un Lyon-Turin comme « d’un projet rationnel, nécessaire pour transférer massivement les trafics routier et aérien sur le rail… ».
Elle est ici, comme dans d’autres dossiers, à contre courant d’une rationalité socioéconomique qu’il faudrait appliquer à beaucoup de projets inutiles.
Pour LGVEA Le Président Jean-Robert Thomas
18/02/2016