Nous voulons saluer aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, la qualité journalistique d’un article de Jean-Bernard Gilles dans le quotidien Sud-Ouest (édition du 21 0ctobre 2015) article intitulé « Tours-Bordeaux : la LGV ira-t-elle au bout ? ».
Les craintes masquées concernant les risques économiques d’une LGV en cours de construction sont ici exprimées clairement par J.B Gilles au travers de son article et des interviews qu’il rapporte.
C’est de Laurent Cavrois, président de LISEA, consortium constructeur/concessionnaire de la LGV Tours-Bordeaux, que vient l’alerte.
Son business plan se trouve mis en péril car le montage financier porté par LISEA avec un pool bancaire (Caisse des Dépôts, fonds Ardian et Méridian) vacille à l’annonce des trafics ferroviaires prévisionnels de la SNCF à partir de mi-2017.
A cette date en effet la LGV devrait être achevée et les premiers TGV devraient l’emprunter entre Tours et Bordeaux. Paris et Bordeaux seraient alors reliés par la grande vitesse (320 km/h) sur l’axe Sud Europe Atlantique (SEA).
LISEA, concessionnaire de la LGV pour 50 ans, pourrait alors rentabiliser son investissement propre via VINCI (800 millions d’euros) et celui du consortium bancaire (3 milliards d’euros).
On ne parle pas ici de la mise de fond en financement public qui provient de RFF (SNCF Réseau depuis janvier 2015) et des collectivités territoriales pour près de 3 milliards d’euros.
Le contribuable n’est pas sûr de retrouver « l’utilité publique » dans sa participation forcée voulue par le grand timonier régional des LGV, Alain Rousset, président de la région Aquitaine.
Car aujourd’hui où en est-on dans le financement de la LGV Tours-Bordeaux ?
Des quelques 58 collectivités territoriales convoquées par l’Etat et Alain Rousset pour abonder à la convention de financement J.B Gilles pointe quelques défections emblématiques :
« Il manque toujours plusieurs centaines de millions d’euros de contribution des collectivités locales (Région Poitou-Charentes, Départements des Landes, de la Charente Maritime, etc.…) »
Rappelons qu’en 2011 lors du bouclage du tour de table pour le financement par les collectivités territoriales Madame Ségolène Royal était présidente de la Région Poitou-Charentes, Monsieur Henri Emmanuelli était (est toujours) président du département des Landes, Dominique Bussereau était secrétaire d’Etat aux Transports (il est depuis président du Département de Charente Maritime).
Hallucinant !
On savourera le sel d’un montage financier loufoque qui est depuis décrié par bon nombre d’élus et d’institutionnels et que nous dénoncions fermement dés 2010.
Depuis les « gogos » du sud de l’Aquitaine (les grands élus de Midi-Pyrénées, et des Pyrénées-Atlantiques par exemple) refusent de poursuivre leur financement de la LGV Tours-Bordeaux au prétexte qu’ils pourraient ne jamais voir tenue la promesse de l’arrivée de la LGV à Toulouse et à Bayonne ce qui fragilise encore plus le plan de financement de la LGV Tours-Bordeaux.
Ces défections retombent sur les épaules économiques de SNCF Réseau (ex RFF), et comble de l’ironie, sur celles de l’EPIC SNCF dont le président du Directoire n’est qu’autre que Guillaume Pépy lui-même !
Or il faut savoir que la SNCF de 2010-2011 présidée par G. Pépy n’était pas appelée à la table des négociations Etat/RFF/collectivités territoriales lors de la construction de la convention de financement de Tours-Bordeaux.
G. Pépy semble être bien dans son droit de dénoncer aujourd’hui cette aberration de gouvernance lui qui a aujourd’hui en charge l’équilibre financier d’un EPIC SNCF avec 44 milliards d’euros de dette et qui doit maîtriser la rentabilité de l’EPIC SNCF Mobilités dont il est le PDG.
C’est d’ailleurs l’EPIC SNCF Mobilités qui pilote la gestion des dessertes TGV, et leur rentabilité, sur le futur réseau grande vitesse de la LGV Tours-Bordeaux.
Le bras de fer entre G. Pépy et L. Cavrois est incontournable.
Le premier défend la rentabilité de SNCF Mobilités en voulant limiter les dessertes TGV qui n’auraient pas un trafic passagers suffisant.
Le patron de LISEA voudrait au contraire voir des dessertes en nombre (>20 sur Paris- Bordeaux) pour empocher environ 20 euros/km de péages de la part de SNCF, rentabilisant ainsi son business d’exploitant et donnant ainsi aux banques l’assurance de la couverture des prêts consentis.
Equation impossible entre le concessionnaire et l’exploitant ferroviaire ?
Ce dernier, mis sous pression par de nombreux élus Picto-Charentais qui se considèrent bernés, estime à juste titre que céder à LISEA entraînerait pour SNCF Mobilités une perte annuelle d’environ 150 à 200 millions d’euros !
Le rétablissement de l’équilibre chez SNCF Mobilités conduirait alors inéluctablement à une augmentation importante du prix des billets TGV (on parle de 20 à 25%) qui ferait fuir l’usager ferroviaire vers d’autres opérateurs (avions lowcost, bus, covoiturage…) et plomberait d’autant plus les comptes de SNCF Mobilités.
Une spirale infernale !
J.B Gilles parle d’info ou d’intox dans ce bras de fer « …tant les postures sont fréquentes sur ce dossier ».
S’il pointe une SNCF qui « …n’est jamais précise sur ses chiffres qu’elle protège jalousement » il n’absout pas LISEA « …qui dramatise volontiers ses rendez-vous mensuels avec ses bailleurs de fonds ».
On s’attend dans les prochaines semaines à des décisions gouvernementales (après les régionales ?) qui pourraient faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Nous redoutons que ces décisions soient, une fois de plus, une côte mal taillée où l’actionnaire principal de SNCF, l’Etat, impose à celle-ci des dessertes (il faut ménager les élus territoriaux dans un contexte électoral 2015-2017 difficile) qui plomberaient le compte d’exploitation et la dette de l’exploitant ferroviaire historique.
Ce ne serait pas la première fois que l’Etat mettrait ses lunettes de courte vue et oublierait sa responsabilité dans les comptes de la SNCF : c’est l’Etat qui en 1997 a scindé SNCF en deux EPIC (SNCF et RFF) pour revenir en 2014 à leur fusion lors de la loi de réforme ferroviaire.
Entre temps l’Etat n’a jamais apuré les dettes de ces EPIC en les détournant des comptes de la Nation (Maëstricht oblige !) pour les faire porter aujourd’hui par l’EPIC SNCF (44 milliards d’euros en progression de 1,5 milliards d’euros/an) et en dissimulant une partie de la dette originelle de 1997 dans le Service Annexe d’Amortissement de la Dette[i] (SAAD mis en place en juin 1991).
Les craintes sur une banqueroute de LISEA avant même la fin de la construction de la LGV Tours-Bordeaux sont dorénavant invoquées en filigrane.
Preuve que nos doutes sur la non utilité publique de telles infrastructures, alors que le gouvernement semble poursuivre le dossier GPSO malgré un avis négatif de la Commission d’Enquête, trouve ici quelque consolidation.
Pour LGVEA Jean-Robert Thomas
[i] On pourra consulter sur ce point un rapport d’information du Sénat qui nous instruit sur les mécanismes de gestion du SAAD permettant d’occulter la dette des comptes SNCF et Etatiques pour ne retenir que la gestion de celle-ci par des transferts croisés entre Etat et SNCF : un « machin » issu certainement des cerveaux de quelques hauts fonctionnaires de Bercy.